Absent du paysage musical parisien depuis plusieurs années, Lang Lang fait son grand retour dans la capitale, dans la grande salle de la Philharmonie, aux côtés de Christoph Eschenbach et de l’Orchestre de Paris. Découvert par le chef allemand, le pianiste entretient depuis une relation privilégiée avec le maestro ; les deux artistes forment un véritable duo à la scène comme au CD. Ces retrouvailles offrent à l'événement un retentissement particulier. Loin du répertoire romantique qu’il privilégie (Liszt, My Piano Hero signait-il avec Gergiev en 2011), Lang Lang est ici appelé au Concerto pour piano n° 2 de Beethoven, premier ouvrage concertant ébauché de la main du compositeur dès 1787. Le compositeur de Bonn y montre alors toute son admiration pour Mozart.
Lang Lang se prête au jeu du classicisme viennois avec un plaisir manifeste et entretient dès les premières mesures un trait galant souverain. Bien sûr, la gestique reste débridée, rappelant les excentricités et le maniérisme dont le pianiste a pu faire preuve dans le répertoire romantique, et Lang Lang semble parfois se substituer au chef avec des gestes de battue explicites. Mais le perlé du toucher, le raffinement du phrasé et l’expressivité du jeu priment sur les effets purement spectaculaires. Autant de qualités qui subliment le deuxième mouvement en particulier : d’un doigté toujours charnu, l’interprète expérimente les nuances les plus ténues, explore une ligne aigue de la main droite sans pédale, accompagnée d’une main gauche qui en dessine le geste. Surtout, Lang Lang régale d’une créativité dans le jeu constamment renouvelée, avec des idées musicales fourmillant de part en part du concerto. Jouant des contrastes de la partition, l’interprète file un trait léger et piano, puis fait sursauter les spectateurs d’un forte impromptu et (il faut bien l’avouer) quelque peu exagéré, dévoilant ce sens inné de la communication avec son public.
À cette ambiance viennoise est venue se confronter l’ouverture de Tannhäuser de Wagner en début de concert, partition figurative où s’opposent les tiraillements du héros entre foi et sensualité. Christoph Eschenbach assure une interprétation d’une grande clarté narrative. Entre Apollon et Dionysos, il accompagne la stabilité inébranlable du chant des pèlerins par une battue régulière, puis le frémissement des leitmotive d’un geste plus englobant. De cette esthétique du contraste, il appelle l’Orchestre de Paris à une riche palette de nuances, lequel lui rend volontiers. Les cuivres énoncent un choral d’une attaque synchrone et d’une grande justesse, qu’ils perdent toutefois dans les réexpositions successives. Les pupitres des vents sont à leur meilleure forme, avec une flûte solo (Vicens Prats) éblouissante de justesse et d'intensité du timbre. De cette union des contraires naît un climax qui, sans être d’une ampleur wagnérienne, reste bien amené et conserve le bénéfice de la clarté des lignes.