L’élaboration de la Messe en si s’étale sur plus de vingt ans. Durant cette période, Bach a puisé dans de nombreux mouvements de cantates adaptés au goût du jour et complété l’œuvre monumentale de nouvelles compositions. Pluralité de styles sur le plan musical, manifeste d’une pensée œcuménique qui dépasse l’hommage au seul culte catholique, la Messe n’a cessé de fasciner depuis sa tardive publication en 1845. Leonardo García Alarcón a déjà dirigé l’œuvre avec le chœur de chambre de Namur et la Cappella Mediterranea, participant naturellement au grand mouvement de l’exécution historiquement informée sur instruments anciens. On pouvait donc s’interroger sur la pertinence d’un projet confié aux forces considérables du Chœur de Radio France et de son Orchestre Philharmonique. L’équilibre idéal des cordes et des vents, la saveur de la trompette et du cor naturels, la transparence d’un chœur rompu à la vocalisation rapide allaient-ils faire place à des textures plus épaisses et moins mobiles, à des modes de jeu parfaits dans Mahler mais si éloignés de la « vraye manière de mener l’archelet » dont nous parle Muffat ?
Le mystère s’est vite dissipé dans le « Kyrie », dont l’introduction lancée dans une mystérieuse obscurité donne l’esprit de la soirée : celui d'une cérémonie grandiose où l’art du chef saura parfaitement calibrer les forces, obtenir d’impalpables pianissimo du choeur, construire une sonorité d’ensemble superbe et remarquablement articulée. La disposition de l’orchestre a été soigneusement étudiée en fonction des équilibres, les solistes instrumentaux se joignent aux chanteurs dans une scénographie fluide, les solistes doublent à l’avant-scène certains chœurs pour apporter un surcroît de définition.
Dans les chœurs brillants dont la partition regorge (« Gloria », « Et resurrexit »), le chef parvient à donner une profondeur sonore et une tension exemptes d’agitation. L’expression d’une joie irrésistible transcende des choristes manifestement ensorcelés par la battue discrète et efficace d'Alarcón, le faste et la ferveur sont au rendez-vous. Les entrées fuguées font valoir un pupitre de ténors particulièrement homogène (entrée du « Credo »), ailleurs la superbe articulation des cordes soutient un « Et incarnatus est » d’anthologie et, pour une fois, le climat de désolation du « Crucifixus » est davantage exprimé par un éclairage nuancé des modulations que par l’insistance sur le mot. La gestion des tempos lents est admirablement négociée : nulle baisse de tension ne vient troubler le « Et in terra pax » ou l’impressionnant « Dona nobis pacem ».