Ce midi est programmé un récital en écho à l’exposition « Paris 1874 - Inventer l’impressionnisme » à l’Auditorium du Musée d’Orsay. Faire entendre l’impressionnisme, donner le change aux chefs-d’œuvre exposés dans les salles au-dessus, que l’on visite avant et après le concert : voilà un défi impossible lancé à Nathanaël Gouin. Les passerelles entre peinture et musique peuvent présenter le risque d’appauvrir le pouvoir d’évocation infini d’une partition en lui imposant une présence visuelle. Par chance, celui qui se présente sur scène n’a pas l’intention de faire correspondre la musique à une ambiance, à un contexte, à un ton. Il se présente comme un simple artisan de la musique, à même de faire entendre les richesses infinies de Brahms, Liszt et Moussorgski.

L’opus 76 de Brahms est dans ce programme moins évident que le Gaspard de la nuit prévu initialement, mais pas dénué de sens, tant ces miniatures annoncent les opus tardifs, un Brahms qui est déjà tourné vers les Études-Tableaux de Rachmaninov ou vers Scriabine, un compositeur qui à sa manière ouvre un monde. Ces Klavierstücke op. 76 peinent cependant à s’imposer dans cette acoustique sèche et précise. Dur de trouver un ton et une longueur de note dans ces pièces plus que redoutables, qui ne brillent pas par l’évidence de leurs thèmes mais par leurs mondes harmoniques. Les pianissimos sont difficiles à chercher également, tant la salle semble écraser les dynamiques. On s’émeut néanmoins d’un Intermezzo en la mineur pris assez lentement, au ton grave et hautain.
C’est avec Les Jeux d’eau à la Villa d’Este de Liszt que le récital décolle vraiment. Nathanaël Gouin nous offre une maîtrise totale dans les traits virtuoses, une unification du propos dans une narration. Quelle chance de trouver un si grand soleil dans les sous-sols du Musée d’Orsay, un mardi pluvieux à 12h30 !
Au tour du chef-d’œuvre absolu du piano russe, les Tableaux d’une exposition. Nathanaël Gouin donne une attention constante aux Promenades, jouées de façon ample sans puissance excessive. Gnomus n’est pas excessivement théâtralisé, on trouve de l’intuition et du jeu dans Tuileries et le Marché de Limoges. L'œuvre de Moussorgski est un monument servi avec sérieux et grandeur instrumentale. La majesté du pianiste est presque trop révérencieuse, mais comme il est difficile d’entrer réellement dans l’œuvre et de tutoyer ce miracle permanent… En ce sens, les accords hypnotiques et glaçant de Catacombes sous les doigts de Nathanaël Gouin nous donnent un goût de ce qui peut transformer une belle lecture en une grande interprétation : le pianiste imprime à ces pages de la sensibilité, de l’urgence.
L'orchestration de Ravel nous a trop habitués à une œuvre puissante, infaillible, sûre de sa force, chatoyante, extravertie et aux effets prémédités. Une grande interprétation des Tableaux au piano est loin de cela, c'est une voix toujours inquiète, ambivalente, subtile, presque fragile d’un interprète qui sait allier sauvagerie sous-jacente et aristocratie. L’imagination infinie de Moussorgski offre un terrain de jeu pour un grand pianiste ; à Nathanaël Gouin de poursuivre sa prometteuse exploration !