Ce qu'on croyait impossible il y a encore dix ans est désormais une tradition à la Maison de la Radio et de la Musique : les deux orchestres de Radio France (l'Orchestre National de France et l'Orchestre Philharmonique de Radio France) sont sur le pont pour célébrer la fin de l'année et le début de l'an neuf. Ils sont bien les seuls à Paris, où les touristes et les familles réunies à l'occasion des fêtes sont privés de concerts.

L'Orchestre National de France, Cristian Măcelaru et le Janoska Ensemble © Radio France
L'Orchestre National de France, Cristian Măcelaru et le Janoska Ensemble
© Radio France

C'est donc dans un auditorium archi-comble que le National propose ce soir sous la baguette de son directeur musical Cristian Măcelaru un programme vraiment festif qui nous rappelle que Vienne n'est pas seulement la patrie de la dynastie Strauss mais aussi le creuset de tant de traditions populaires d'Europe centrale, encore si vivaces dans la Slovaquie et la Hongrie voisines. Preuve en est la présence aux côtés du National du Janoska Ensemble – constitué de trois frères, Ondrej, František et Roman Janoska, originaires de Bratislava, et de leur beau-frère Julius Darvas. Ils sont annoncés en deuxième partie et, si l'on avait a priori des doutes sur le « mélange » qui pourrait – ou pas – s'opérer entre l'ensemble et l'orchestre, ils seront très vite levés, pour la plus grande joie du public comme des musiciens.

L'ouverture du Baron tzigane commence pourtant avec des pieds de plomb, trop lent, trop massif. Avec le souvenir de Carlos Kleiber dans l'oreille, on se dit qu'il eût peut-être mieux valu commencer ce concert par une ouverture moins périlleuse. Mais le hautbois de Mathilde Lebert fait venir du fond de la puszta hongroise une mélopée tzigane, et soudain l'orchestre s'éveille, le chef se réveille, et, encore avec un peu trop de prudence, ils nous entraînent dans une irrésistible csárdás.

L'orchestre enchaîne avec les Danses de Galánta, de Zoltán Kodály, qui tiennent leur nom de la petite cité historique (actuellement située en Slovaquie) où le compositeur passa les plus belles années de son enfance. Dans cette pièce qui se souvient des musiciens tziganes des rues, la petite harmonie du National s'en donne de nouveau à cœur joie, en particulier la clarinette presque trop luxueuse de Carlos Ferreira – il aurait pu se rapprocher de la sonorité plus rauque du taragot, cet ancêtre populaire de la clarinette en Transylvanie. Et les cordes, si sollicitées par les changements incessants de rythme et de tempo, vont trouver, sous la houlette de la violon solo Sarah Nemtanu, non seulement une cohésion, mais surtout une chaleur expressive, qui iront s'intensifiant tout en se libérant du carcan de la barre de mesure. La maîtrise de Cristian Măcelaru est impressionnante : elle ne bride pas, au contraire elle libère ses musiciens. Suit une Cinquième Danse hongroise de Brahms de belle facture, avec ce qu'il faut d'entrain et de souplesse – en bis, on aura droit à la Première, tout aussi réussie et applaudie. 

La première partie s'achève sur l'inévitable Beau Danube bleu. Toutes nos préventions tombent, et notre admiration va croissant tout au long de ce tube tellement ressassé qu'il nous faut vraiment une interprétation exceptionnelle pour le supporter. En concert, on ne se rappelle pas avoir entendu vision aussi juste, aussi respectueuse de la partition et de ses mélanges instrumentaux. C'est de cette œuvre que Brahms disait qu'elle n'était « malheureusement pas de [lui] » tant il admirait l'inspiration et l'orchestration de cette suite de valses. Soudain on est à Vienne : tout y est, l'élan, la sveltesse, un irrésistible parfum de nostalgie.

La seconde partie propose des compositions et des arrangements de František, le pianiste du Janoska Ensemble. D'abord une ouverture de La Chauve-Souris de Strauss « à la Janoska », c'est-à-dire revisitée avec un mélange d'improvisations, de rythmes de jazz, de rumba, et même des citations de Michel Legrand. Cela surprend mais comme c'est débridé, virtuose et sans complexe, on adhère ! On a moins compris le titre – Musette – d'un hommage au Viennois Fritz Kreisler, où les deux frères violonistes rivalisent de prouesses. 

Il y aura ensuite beaucoup d'humour dans le traitement de la Lettre à Élise de Beethoven, où l'ensemble joue seul. Cristian Măcelaru reprendra enfin sa baguette pour des variations autour du Caprice n° 24 de Paganini... mais, comme dans tout bon concert de Nouvel an, le public attend des bis. Ce sera d'abord un arrangement « à la Grappelli » du Concerto pour deux violons de Bach qui swingue, qui balance, c'est irrésistible. Mais le meilleur est pour la fin : après qu'un musicien a demandé au public d'allumer les portables façon briquet, les Janoska et le National nous offrent leurs vœux avec une Vie en rose toute en douce mélancolie.

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