Une fois encore la Philharmonie de Paris est pleine du parterre au dernier balcon d'un public aux générations plus mélangées que dans les autres salles de concerts parisiennes, cinglant démenti aux apprenties Cassandre qui ont tout mis en œuvre pour qu'elle ne se construise pas, allant jusqu'à agiter le spectre des agressions dans un quartier qu'elles stigmatisaient. C'est d'autre chose dont il faut avoir peur dorénavant : plus on la visite et plus on imagine la façon dont le bâtiment va traverser les années : ce mardi 28 mars au soir, il pleut et sur le grand balcon extérieur par lequel on accède à la salle, un homme muni d'un large balais se bât comme un marin écope. Sans ses coups énergiques pour la repousser, l'eau entrerait dans le hall : la pente est dans le mauvais sens... A l'intérieur, les murs encore éclairés par le jour qui tombe portent les stigmates d'enduits mal étalés, de peinture débordant sur les plaques des ascenseurs, de moquettes pas très nettes, de bas des murs mal finis, de murets de coursives sales. L'architecte Jean Nouvel a eu raison de refuser de signer ce bâtiment en raison de la qualité médiocre des travaux de finition.
Par chance, l'intérieur même de la salle échappe à ces funestes observations, bien que les sièges commencent déjà pour certains à s'incliner... Je ne sais pas ce que les musiciens de l'Orchestre national de l'Opéra de Paris en pensent, eux qui travaillent dans un bâtiment si banalement laid, coincé place de la Bastille, et jouent dans une salle à l'acoustique si froide ? Sans risque de me tromper, à les entendre s'ébrouer, puis conquérir le vaisseau de la Porte de La Villette, je peux dire qu'ils sont contents d'être là au milieu de ce public qui peut – enfin ! – les entendre en vrai, en grand.
Au programme ce soir, les Deuxième et Quatrième Symphonies de Tchaïkovski. Sur le podium Philippe Jordan, leur patron depuis 2009, nommé par Nicolas Joël dès son arrivée à la direction de l'Opéra, juste après le départ de Gérard Mortier. Le Belge avait remis artistiquement au premier plan la scène parisienne et enfin fait revenir de grands chefs à la tête des deux orchestres de la maison, après les modestes années Hugues Gall où se succédaient des chefs perfectibles, sauf exception notable.
Ce soir l'Orchestre est au complet, queue de pie pour les hommes, tenue noire pour les femmes. Jordan entre : quelle élégance ! Mince, droit comme un « I » , il porte lui aussi un queue de pie impeccable, tombant parfaitement, des vernis éclatants. Il y a quelque chose d'ancien, d'un peu nostalgique d'une époque révolue dans ces tenues, de respectueux pour le public : « nous nous sommes faits beaux pour vous ».
Et les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra ont joué comme ils étaient en scène : d'une façon admirable, exemplaire, sans rien de travers et de débraillé, d'approximatif ou de laissé de côté, du premier et sublime solo de cor qui ouvre la Deuxième Symphonie à la coda enflammée du « finale » de la Quatrième Symphonie, même quand parfois quelques petits décalages dans l'orchestre faisaient se remémorer « au fait, cette symphonie n'est pas à leur répertoire, c'est une "création" pour eux et vu le travail harassant qui est le leur dans la fosse de l'opéra, ils n'ont pas dû avoir beaucoup de services pour la mettre au point ».