Depuis sa création en 2012, le Quatuor Oistrakh a rejoint le club très « select » des grands quatuors russes. Ils ne sont pas les seuls dans la 9e Biennale des Quatuors à cordes de la Philharmonie : le Quatuor Borodine est programmé le lendemain, lui aussi dans des œuvres de Beethoven et Chostakovitch – deux compositeurs déjà donnés la veille par le Quatuor Fine Arts et attendus le surlendemain avec le Quatuor Danel. Malgré la grande joie d'écouter ces deux géants du quatuor en boucle, cela ne peut que construire une attente : celle de choix d'interprétation nets, qui ne manqueraient pas de nous faire apprécier la personnalité unique des Oistrakh.
Les musiciens s'installent, queues de pie et nœuds papillon blancs compris, et le concert commence avec le Quatuor n° 4 de Chostakovitch. Ce n'est pas un début des plus enivrants. Inspirée de mélodies juives d'Europe de l'Est, la pièce transporte de chants tonaux à une torsion des accords, ses lignes mélodiques sans fin se tressant pendant vingt-cinq minutes. Andrey Baranov, premier violon, porte beaucoup de ces thèmes avec de remarquables aigus, un vibrato large et constant, ainsi qu'un son un peu dur. Là où la partition indique des variations de dynamique, des moments suspendus (notamment dans l'« Andantino », tout en sourdine), le quatuor utilise souvent la même intensité. En variant peu le phrasé ou le timbre de ces mélodies, elles finissent par sembler longues. Même les points d'appui ou les passages les plus dramatiques manquent d'un contraste avec le reste qui les auraient soulignés : le solo de violoncelle d'Alexey Zhilin du dernier mouvement, bien que très inspiré, en souffre quelque peu.
Avec le Quatuor n° 3 de Beethoven, soudain, quelque chose change. Le caractère fluide, carré mais souple de la musique viennoise semble amuser les complices russes qui se l'approprient avec joie. Ce n'est pas une interprétation « européenne », épurée et attentive à l'esprit classique, de la musique beethovenienne. Dès le premier « Allegro », les tutti ne sont pas énoncés dans la retenue mais avec une force entraînante qui ne spolie en rien la précision de l'articulation. Le vibrato des musiciens, qui chez Chostakovitch pouvait être handicapant, est ici un atout : notamment dans l'« Andante con moto », plus calme, où se dégage de leurs timbres combinés une chaleur admirable. L'énergie de l'ensemble est jouissive, en témoignent les applaudissements plus francs à la fin de l'œuvre.