« Vous allez enfin pouvoir entendre ce que pouvait être la musique d’un office religieux à Paris à la fin du XIXe siècle ! » Dans son bref speech introductif, Hervé Niquet avec son légendaire sens de la formule souligne les enjeux du concert à venir… En fin connaisseur de la musique française de Lully à Debussy, il a engagé depuis de nombreuses années un travail de redécouverte de cet immense répertoire, en s’attachant à une interprétation historiquement informée. À la tête de son Concert Spirituel, il vient au Festival Ravel avec plusieurs raretés de la musique sacrée française de la fin du XIXe siècle, en prélude au sublime Requiem de Fauré.

Hervé Niquet à Saint-Jean-de-Luz © Christophe de Dreuille
Hervé Niquet à Saint-Jean-de-Luz
© Christophe de Dreuille

Donné dans la magnifique église de Saint-Jean-de-Luz dont l’acoustique est idéale pour ce type de répertoire, le concert commence par la redécouverte de la Messe de Clovis de Charles Gounod. Une œuvre composée pour célébrer le 14e centenaire du baptême du Roi des Francs, dans un contexte ou Jeanne d’Arc et Clovis deviennent des figures tutélaires après la défaite de 1870 contre la Prusse. Si cette messe a été créée en l’église de la Madeleine à Paris avec un effectif pléthorique de 600 choristes et instrumentistes, Hervé Niquet a choisi ici la version pour chœur et orgue publiée en 1896. Et à juste titre, car cette belle œuvre est écrite dans un style ancien et gagne à être entendue dans l’effectif intimiste des 17 chanteurs du Concert Spirituel. Et pour rendre plus lisible encore l’écriture polyphonique néo-Renaissance, ceux-ci sont disposés en V, avec les cinq sopranos et les quatre altos à gauche du chef, les quatre ténors et les quatre basses à sa droite.

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Hervé Niquet et le Concert Spirituel à Saint-Jean-de-Luz
© Christophe de Dreuille

Hervé Niquet a inséré entre les mouvements de la Messe de Clovis plusieurs motets de compositeurs français de cette époque. C’est ainsi qu'après le Kyrie et le Gloria nous découvrons un O Salutaris d’Alexandre Guilmant ; à la suite du Credo, un sublime O Salutaris de Louis Aubert où se joignent au chœur les arpèges célestes de la harpe et le chant extatique du violon ; après le Sanctus et le Benedictus, un beau Tantum ergo de Camille Saint-Saëns chanté par les voix aigües, avant la douce et prenante fugue de l’Agnus Dei qui conclut la messe de Gounod. Et c’est le lumineux Benedicat vobis de Théodore Dubois qui termine cette première partie riche en découvertes, toutes chantées avec la prononciation du latin « à la française » restée en usage dans notre pays jusqu’au milieu du XXe siècle.

En seconde partie voici le Requiem de Gabriel Fauré (dont Maurice Ravel fut l'élève) dont on célèbre en cette année 2024 le centenaire de la disparition. Le chef-d’œuvre est donné ici d’après la version de 1893, dans une formation pour chœur, orgue et un petit ensemble instrumental de cordes graves (altos, violoncelles, contrebasses – et un seul violon), deux cors et harpe. Cette version intimiste et épurée fait pleinement écho à ce que confie Fauré : « je sens la mort comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux ». Avec cette musique aux antipodes du dramatisme et de la monumentalité de la plupart des requiems romantiques, Hervé Niquet privilégie ainsi la douce et lumineuse ferveur qui se dégage de l’œuvre. Et avec un chœur du Concert Spirituel particulièrement homogène et inspiré, il fait ressortir de manière transparente la subtilité de l’écriture polyphonique fauréenne.

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Hervé Niquet et le Concert Spirituel à Saint-Jean-de-Luz
© Christophe de Dreuille

Autre particularité de cette émouvante interprétation, le célèbre Pie Jesu est ici chanté non pas par une soprano solo mais par les cinq sopranos du chœur dans un unisson étonnamment fondu. Après un Libera me introduit par la belle et sobre voix de baryton de Philippe Estèphe, nous voici dans le sublime In Paradisum conclusif. Devant cette interprétation toute en délicatesse et en douceur, portée par les arpèges instrumentaux et les voix diaphanes des sopranos puis des autres pupitres du chœur, nul doute que nous sommes déjà au paradis !

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