Dans une formation réduite à quatre multi instrumentistes fameux, Hesperion XXI proposait ce 19 mai au Musée d'Orsay un vaste florilège des musiques improvisées de « l’ancien au nouveau monde », chemin musical très coloré depuis la péninsule ibérique jusqu’au Mexique en passant par l’Angleterre. Le programme comporte les danses et ostinatos les plus répandus de la Renaissance, chaque forme offrant des possibilités étendues d’improvisation dans un cadre rythmique et harmonique bien précis.
En ouverture, Jordi Savall aborde les passamezos de Diego Ortiz extraits des « Recercadas » (guide incontournable de l’improvisateur) avec tranquillité, à la manière d’un tour de chauffe pour la jam session à venir. Avec sa célèbre basse de viole anglaise, le musicien catalan semble tester l’acoustique de la salle et éprouver la complicité de ses partenaires Andrew Lawrence-King à la harpe, Xavier Díaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Pedro Estevan aux percussions, compagnons de route de la première heure. Suivant les principes parfois malheureux de la loi des contrastes, un lumineux solo de guitare (Sanz) fait place à des Musicall Humors de Hume dont l’intimité convient mal à la salle mate de l’auditorium d’Orsay ; en dépit des particularités de jeu originales de ces pièces descriptives, le violiste ne convainc guère.
Les improvisations de l’ensemble au complet sur Greensleeves to a Ground ou sur un traditionnel mexicain (guaracha) ont un peu de mal à passer la rampe malgré les trésors d’invention de Pedro Estevan dont les percussions, castagnettes et savoureux bruitages apportent une tension bienvenue à des échanges improvisés manquant de fluidité – la précision des diminutions et la clarté du discours demeurent largement perfectibles. Il est vrai qu’une salle de concert et le principe même du concert classique ne font pas le meilleur ménage avec la transe musicale, et les accords interminables entre les pièces n’aident pas non plus à réchauffer l’atmosphère.
Citoyen du monde et chantre de la paix, Savall n’a pas oublié de dédier deux pièces en hommage au peuple ukrainien : le Lamento écrit par Lawrence-King aurait pu convaincre avec ses harmonies à la Bartók mais les approximations de mise en place rendent cette harmonisation audacieuse de l’Hymne ukrainien passablement confuse. Tirant de son dessus de viole un éventail bruitiste de cris d’oiseaux dans le traditionnel catalan El Cant dels Aucells, Savall est toujours le maître d’une mise en scène sonore qui vaut autant que la précision technique et la propreté des traits. On obtiendra sans nul doute les deux au moment des bis dans les deux extraits du Codex de Lima. La noble procession suivie d’une danse enfiévrée rappelle enfin les riches heures d’Hesperion, la rencontre miraculeuse a lieu, l’archet de Savall conquiert l’espace sonore.