Les journées du patrimoine ne font pas que des heureux. Samedi dernier, à l’entrée de l’église de l’abbaye d’Ambronay, devant la billetterie, quelque peu avant 15h, deux couples de curieux du patrimoine qui avaient prévu de visiter l’ensemble bénédictin se sont vu refuser l’entrée au motif d’un concert imminent. Mal leur en a pris de quitter l’endroit fâchés, ils eurent mieux fait d’acheter immédiatement un billet pour ce concert de fort belle facture où se produisait l’ensemble espagnol Cantoría, habitué des lieux et en résidence au festival depuis maintenant huit ans.

Cantoría au Festival d'Ambronay © Bertrand Pichène
Cantoría au Festival d'Ambronay
© Bertrand Pichène

Bénéficiaires du programme européen Eeemerging+ de 2018 à 2021, créé à l’initiative du Centre culturel de rencontre d’Ambronay dans l’idée, notamment, que la pratique de la musique baroque relève d’une dimension européenne par ses échanges entre les pays, l’ensemble ibérique – originellement quatuor vocal – se lance chaque année de nouveaux défis à la hauteur de ses qualités, dont la première est à l’évidence une homogénéité vocale et une diction inégalables entre et au sein des différentes tessitures. Après huit chanteurs l’édition précédente, ils passent cette fois-ci à treize, dirigés de l’intérieur par Jorge Losana, tous placés en arc de cercle sur l’estrade qui occupe le chœur de l’église, avec en leur centre l’organiste Marina Lopez, accompagnatrice délicate, régulière et légère. Au programme : quelques « Trésors du Vatican », la Missa Papae Marcelli – originellement à six voix – du maître Giovanni Pierluigi da Palestrina et diverses pièces de l’élève Tomás Luis de Victoria.

Comme une trace des origines du groupe, la forme en quatuor réapparaitra régulièrement pendant le concert, quatre interprètes s'extrayant du chœur au milieu même de certaines pièces et venant ainsi concentrer l’attention musicale et narrative. Ce procédé viendra par exemple chromatiser la crucifixion décrite dans la partie centrale du « Credo » de Palestrina, précédée d’un inopiné tintement des cloches de l’abbaye et préparée par un précieux moment pianissimo lors de l’évocation de la Vierge Marie et de l’incarnation du Verbe. Écho s’il en est à la très sensuelle pietà du centre de la nef, offerte à gauche de notre regard, lavée par le temps, lascive, généreuse et implorante – à l’image même de la couleur générale de ce concert.

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Cantoría au Festival d'Ambronay
© Bertrand Pichène

Même procédé avec le « Benedictus » où le chant se resserre. Dans l’« Ave Maria » de Tomás Luis de Victoria, cette configuration permettra d’orchestrer un jeu très dynamique de questions-réponses entre le quatuor et les autres. Les corps des chanteurs s’étirent vers le ciel, à la recherche d’une harmonie divine, les lignes mélodiques sont systématiquement attaquées par au-dessus, l’écoute entre eux est maximale et les passages de relais imperceptibles autant que les réorganisations du groupe selon les tessitures entre chaque pièce. Les unissons finaux, souvent sur les « Amen », prenant appuis sur d’amples voyelles, sont saisissants de justesse et d’équilibre entre les voix.

C’est que l’expérience dans cette église, à l’acoustique parfaite pour un concert vocal, est à ce point fine, spirituelle et gourmande, qu’elle nous permet de gouter et révéler avec une précision rare les nuances qui relient ou séparent le maître de l’élève. Autant Palestrina offre une clarté d’écriture sans égal dans la polyphonie, dans un art consommé de la synthèse et de la ligne, autant de Victoria, peut-être davantage hispanique, se montre plus joueur et parfois rond ou épais, dégageant toujours plus de suavité dans ses pièces liturgiques. Comme dans l’« Alma redemptoris » où l’écriture finale en canon offre des vagues successives qui viennent écrire une possibilité de désir.

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Cantoría au Festival d'Ambronay
© Bertrand Pichène

Cette couleur est essentiellement préparée par l’introduction a cappella du ténor catalan Oriol Guimerà, imperturbable avec sa présence et sa voix de berger des Abruzzes. C’est un pâtre qui nous chante ici sa croyance et son espoir en notre monde. De même dans le « Vidi speciosam », après une attaque franche et nette grâce aux « i » mis en exergue, le rapport entre les aigus et les graves – voix d’hommes et de femmes – qui régulièrement s’enlacent pour encore mieux se démarquer permet aux deux sopranos à leur tour de jouer entre elles, dans une sorte de plaisir de la forme au carré.

Le « Cantate Domino » de Monteverdi donné en bis, objet d’une recherche actuelle d’un « Monteverdi hispanique », selon les mots de Jorge Losana, vient habilement teaser le concert annoncé de l’année prochaine. Assurément un autre très beau concert en perspective qui sera suivi avec intérêt. Ils sont désormais connus et reconnus à Ambronay, en témoigne l’ovation finale.


Le voyage de Romain a été organisé par le Festival d'Ambronay.

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