C’est à un programme redoutablement romantique que nous invitait Antje Weithaas ce vendredi 26 novembre. Donné sous forme d’intronisation de la violoniste comme artiste associée à l’Orchestre de chambre de Paris, le concert rassemblait des pages dix-neuviémistes et bien connues de tous, à l’exception de la brève ouverture de Fanny Mendelssohn. Mais leurs similitudes résidaient peut-être davantage dans leur écriture et dans leurs possibilités d’exécution par l’orchestre que dans leurs affinités thématiques et compositionnelles.

Antje Weithaas © Marco Borggreve
Antje Weithaas
© Marco Borggreve

Idéaux pour l’exercice du dirigé-joué prisé par Antje Weithaas, le Concerto pour violon n° 2 de Mendelssohn et la réorchestration du Quatuor n° 14 de Schubert par Gustav Mahler ont en effet joyeusement mobilisé les troupes. Sur le concerto célèbre, dont la simplicité mélodique masque si bien les difficultés techniques, la violoniste-cheffe fait merveille tant dans la maîtrise de son instrument que dans la qualité de ses échanges avec l’orchestre. La dextérité à toute épreuve d’Antje Weithaas trouve un interlocuteur de taille chez les musiciens qui, tous debout et de ce fait investis physiquement et sensiblement tout au long du concert, abolissent l’air de rien la distinction entre soliste et tutti. La complicité entre les musiciens demeure tangible tandis que le concerto monte en tension chromatique sur son Allegro molto appassionato frénétique. L’Andante réussit l’exploit de maintenir en haleine tout en faisant considérablement redescendre la pression. Avant l’enchaînement de l'Allegretto non troppo et surtout de l’Allegro molto vivace final, défiant les musiciens sur le terrain de la vitesse comme sur celui de l’expressivité. Les cadences, impressionnantes sans pour autant se révéler écrasantes et tapageuses, laissent toute la place au mouvement collectif.

Le Quatuor n° 14 de Schubert, inspiré de son lied « Der Tod und das Mädchen », a été somme toute assez rarement joué et enregistré dans son orchestration par Gustav Mahler. Celle-ci ne manque cependant pas d’intérêt : sans rien dénaturer des lignes du quatuor, elle en révèle des frottements et des accents inédits. Il faut cependant avouer qu’elle se révèle bien plus efficace sur son premier mouvement que sur les suivants – et tout particulièrement sur le second. Cet Andante, constitué de variations cycliques et entêtantes sur le lied originel, savait laisser émerger soliste après soliste pour créer des effets de résonance ; effets de résonance qui se retrouvent paradoxalement aplanis par leur distribution par pupitre, et peut-être également par la profonde égalité qui s’est installée entre eux. Sur le finale, cependant, l’écriture pour cette sorte de « quatuor en 3D » séduit véritablement.

Donnée sous forme de mise en bouche, l’Ouverture en do majeur de Fanny Mendelssohn tirait peut-être mieux parti de ce dispositif, plaçant Antje Weithaas à la fois au poste de supersoliste et de cheffe. Celle-ci révèle à la fois une directrice à suivre et une compositrice décidément injustement oubliée. Cette seule incursion de cette dernière dans l’effectif symphonique, de son introduction éthérée à un déploiement de toute beauté, jusqu’à une montée en puissance assez démentielle, avait en effet de quoi faire de l’ombre à un frère pressé d’éloigner Fanny de la scène musicale. Plus proche d’un Sturm und Drang classique (effets de couleur et développement thématique à l’appui) que du sillon cyclique et schubertien que creusera son frère, l’écriture de la jeune femme s’avère saisissante. On ne peut ainsi l’entendre aujourd’hui que dans un mélange d’admiration et de tristesse.

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