Il pourrait à première vue paraître curieux d’offrir au sein d'un même programme le très classieux Concerto pour violon n° 3 de Saint-Saëns et l’immense, âpre et douloureuse Huitième Symphonie de Chostakovitch. Ce choix original proposé par le Belgian National Orchestra et son directeur musical Antony Hermus à une salle Henry Le Bœuf bien garnie va cependant se révéler être une réussite inespérée.

Très attendu par un public entièrement acquis à sa cause, Lorenzo Gatto se montre un excellent soliste dans l'œuvre de Saint-Saëns. Dès l’Allegro introductif abordé avec fermeté et franchise, le soliste enchante par la liberté de son phrasé, son interprétation pleine de personnalité ainsi que sa pureté de sonorité et d’intonation. Toujours invariablement élégant, le violoniste belge déploie ensuite un réel charme et une enchanteresse liberté de ton dans un mouvement lent interprété sans mièvrerie ni auto-complaisance. Il impressionne aussi par sa technique impeccable et son aisance dans les passages en harmoniques absolument parfaits. Il se montre enfin souverain dans le dernier mouvement qu’il aborde d’une façon très équilibrée et sans recherche de l’effet.
Lorenzo Gatto peut compter sur la collaboration pleine et entière de l’orchestre et du chef qui lui offrent un très bel écrin sonore. Très applaudi, le soliste offre en bis un éblouissant Caprice n° 1 de Paganini où sa maîtrise d’archet laisse pantois.
Mais tout ceci n’est qu’un hors-d’œuvre avant une Huitième de Chostakovitch qui va fortement impressionner. Présentée en français et en néerlandais par Antony Hermus, cette composition continue de charrier son lot d’interrogations. Est-elle uniquement une évocation des horreurs de la Seconde Guerre mondiale ou évoque-t-elle aussi les impitoyables répressions staliniennes ?
En tout cas, l’approche du directeur musical de l’Orchestre national est des plus intéressantes, car elle se situe entre les versions classiques – d’une incandescente intensité – des grands interprètes soviétiques comme Mravinsky (créateur de l’œuvre) ou Kondrachine et celles plus policées et occidentales de Haitink ou Previn.
Dès les grondements telluriques des violoncelles et contrebasses qui ouvrent l’œuvre jusqu’à l’étrange joie forcée qui la conclut, Hermus montre qu’il a parfaitement la mesure de cette grande symphonie. Dirigeant sans baguette et avec une gestuelle aussi sobre qu’efficace, le chef néerlandais peut compter sur un orchestre en état de grâce. Pendant quelque soixante-cinq minutes, il n’y aura pas un instant de relâchement ni sur le podium ni parmi les rangs d’un BNO survolté. On admire la tension impitoyablement maintenue durant un premier mouvement de près d’une demi-heure, le chef rendant parfaitement le caractère inexorable et la violence aveugle de la musique. La mélodie désolée du cor anglais émeut infiniment.
Après un Allegretto mordant, le troisième mouvement, Allegretto non troppo, évoque un incongru orchestre de cirque avec des trompettes particulièrement incisives, alors que la musique semble étrangement tourner à vide. Le Largo donne à nouveau l’impression d’une étrange lassitude, d’une musique à bout de forces comme l’illustrent les flatterzunge désincarnés des flûtes. Le côté mécanique et faussement guilleret du bref finale est aux antipodes de la conclusion triomphante qu’on aurait pu attendre. La musique s’éteint ici comme si elle n'en pouvait plus et plonge le public dans un silence abasourdi, avant que de chaleureux applaudissements ne saluent la prestation exceptionnelle du chef et de l’orchestre qu’on a rarement entendu aussi bien sonner, toutes les sections se couvrant de gloire.