Sous la chaleur déjà estivale de Nice, la reprise de Carmen à l’Opéra Nice Côte d’Azur résonne comme une évidence. Entre l’atmosphère vibrante de la ville et la moiteur andalouse évoquée par Bizet, la fusion est totale. Pourtant, le metteur en scène Daniel Benoin va bien au-delà du simple dépaysement folklorique. Il ancre sa Carmen dans un contexte historique fort : l’été 1936, au début de la guerre civile espagnole, période parmi les plus sombres et décisives de l’histoire de Séville.

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Carmen à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

Ce choix n’est pas anodin. Il permet d’éclairer d’une manière nouvelle le combat de Carmen, figure de femme libre, face à une société en proie à la violence et à la répression. Entre brassards rouges, milices armées, messages militaires en espagnol et coups de feu, l’insurrection nationaliste se superpose à la révolte intime de l’héroïne. La scénographie de Jean-Pierre Laporte – auquel cette reprise rend un hommage vibrant après sa récente disparition – magnifie cette tension. Ses décors foisonnent de clichés andalous : tonneaux de vin, jambons suspendus, arènes de corrida, flamenco incandescent. Mais loin d’être caricaturaux, ces éléments deviennent symboles d’une Espagne à la fois festive et au bord du chaos.

L’ouverture donne le ton : Carmen, déjà vêtue de sa robe finale, la poitrine ensanglantée, s’effondre sous les yeux du public. Une image saisissante, quasi prophétique, qui hante toute la représentation. Trois vidéos de Paulo Correia ponctuent ensuite les ouvertures d’actes, projetant des clichés emblématiques de l’Espagne de l’époque, tandis qu’une autre, bouleversante, superpose le visage de la mère de Don José et son village natal à la scène, lors de la lecture de la lettre, brouillant habilement les repères spatio-temporels.

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Carmen à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

Côté musique, Lionel Bringuier dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice avec souplesse et vitalité. L’équilibre entre fosse et plateau est remarquable : les voix ne sont jamais couvertes, les lignes mélodiques respirent, et l’orchestre accompagne sans alourdir. Quelques légers flottements dans les chœurs – notamment dans « La garde montante » – créent un effet d’écho malheureux mais ne nuisent pas à l’ensemble.

Dans le rôle-titre, Ramona Zaharia incarne une Carmen résolument menaçante, sensuelle et insaisissable, usant habilement du vibrato et du portando pour colorer sa ligne vocale. Sa première apparition, arme à la main, donne le ton d’un personnage conquérant. Impressionnante de maîtrise, elle ne faiblit jamais malgré l’intensité physique et vocale d’un rôle aussi éprouvant, conservant jusqu’au bout une présence incandescente. Face à elle, Jean-François Borras campe un Don José intense, d’une projection claire et puissante dans les médiums, articulant chaque mot avec une émotion contenue. La Micaëla de Perrine Madoeuf séduit par la douceur cristalline de sa voix, jamais écrasée grâce à la finesse de l'exécution orchestrale. Quant à Jean-Fernand Setti, il offre un Escamillo solide, charismatique et bien timbré.

<i>Carmen</i> à l'Opéra de Nice &copy; Dominique Jaussein
Carmen à l'Opéra de Nice
© Dominique Jaussein

La mise en scène, à la fois sobre et immersive, évite toute surcharge inutile. Elle sert l’action avec efficacité, soulignant les enjeux dramatiques sans jamais en détourner le regard. Le public, pris dans cette relecture engagée et cohérente, en ressort convaincu qu’une œuvre aussi connue que Carmen peut encore, sous un autre angle, réveiller les consciences.

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