Créé en janvier à la Philharmonie de Paris pour célébrer les 150 ans de la naissance d'Arnold Schönberg, le spectacle Transfiguré – 12 vies de Schönberg était présenté le 6 décembre à l'Opéra de Nice. Ce projet hybride, imaginé par le réalisateur Bertrand Bonello (connu pour les films La Bête ou Saint Laurent), propose une approche audacieuse et immersive de l'œuvre et de la vie du compositeur viennois, mêlant musique, théâtre, danse, projections visuelles et témoignages, dans l’intention de rendre accessible l'univers schönberguien.

Arnold Schönberg (autoportrait, 1908) © Arnold Schönberg Center, Vienne
Arnold Schönberg (autoportrait, 1908)
© Arnold Schönberg Center, Vienne

Dès l'arrivée du public, l'expérience commence : un acteur déambule parmi les spectateurs, créant une atmosphère intrigante et engageante. Sur scène, le dispositif est riche et symbolique : un piano occupe le premier plan, tandis que deux écrans latéraux et un rideau de fils — servant d'écran supplémentaire — accueillent traductions, didascalies et pensées des personnages. L'orchestre, dirigé avec passion et expressivité par Johanna Malangré, est dissimulé derrière cet écran de fils, ajoutant une dimension onirique à la scénographie.

Le spectacle débute de manière chronologique, en explorant les premières œuvres post-romantiques de Schönberg, telles que La Nuit transfigurée et Pelléas et Mélisande. L’interprétation orchestrale est profondément romantique, mettant en avant de grands vibratos, des crescendos envoûtants et un travail minutieux sur les timbres. Fidèle à l’écriture schönberguienne, chaque instrument s’exprime avec une individualité marquée, préférant l’hétérogénéité sonore aux masses homogènes. Et les auditeurs peuvent déjà apprécier des techniques qui se généraliseront dans le siècle suivant, comme le flatterzunge (roulement rapide de la langue sur l'embouchure d'un instrument à vent, produisant un effet vibrant).

La programmation ne se limite pas aux œuvres orchestrales : le pianiste David Kadouch se distingue lors des Trois pièces pour piano op. 11 par un toucher d’une délicatesse remarquable. Sa pudeur et sa capacité à laisser résonner les sons plongent l’audience dans une intimité saisissante, loin de toute démonstration technique ostentatoire.

La mise en scène s’enrichit de multiples supports narratifs : autoportraits de Schönberg (qui était également peintre), extraits de séquences vidéo évoquant Pelléas dans des paysages forestiers et témoignages esthétiques du compositeur. Le Chœur de l’Opéra ajoute sa pierre à l'édifice et impressionne lors de Friede auf Erden op. 13, offrant une palette d’émotions puissantes et plurielles, bien que quelques consonnes finales manquent parfois de netteté. La soliste Sarah Aristidou, avec sa voix chaude et articulée livre une prestation incarnée, captivant par son chant sans aucun artifice gestuel. L’équilibre entre sa voix et l’orchestre est à souligner. Les acteurs, par leurs gestes fluides et leurs déplacements chorégraphiés, donnent vie aux paroles des différents livrets, incarnant avec intensité les émotions et les récits des pièces.

Suivant l’évolution de l’écriture du compositeur, le spectacle bascule ensuite vers l’atonalité et explore la modernité de Schönberg, en résonance avec le chaos de la Seconde Guerre mondiale. Des témoignages bruts sur les rêves sous le IIIᵉ Reich, des images expressionnistes sombres — entre poupées effrayantes et araignées inquiétantes — et la Suite pour piano op. 25 illustrent l’instabilité d’un monde en crise.

Véritable kaléidoscope d'images, de sons et de récits, ce spectacle parvient à traduire la richesse et la complexité de l’univers du compositeur. À la fois captivant et pédagogique, Transfiguré réussit son pari : rendre accessible l’art de Schönberg tout en offrant un voyage sensoriel et intellectuel profondément émouvant.

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