Affichant un titre provocateur (« I hate new music »), Sarah Defrise propose sur les planches du Théâtre des Martyrs de Bruxelles un one woman show original autour de la musique contemporaine et plus particulièrement de la voix a cappella. Alternant pièces contemporaines et sketchs comiques et réflexifs, le spectacle de la soprano belge ménage un savant équilibre du visuel et du sonore, du personnel et du collectif, de critique spécialisée et d’effort de vulgarisation.

On commence avec la Sequenza III (1965) de Luciano Berio qui offre déjà de beaux rires et de belles vocalises lyriques au public, le tout solidifié par une mise en scène (Natacha Kowalski) qui révèle petit bout par petit bout le corps de la chanteuse : ici la lumière laisse paraître une main, puis un visage, le tout en parfaite adéquation avec la partition. L'ensemble du spectacle bénéficiera du même soin et de la même intelligence, avec une chorégraphie subtile (Johanne Saunier), des lumières tamisées (Jean-Louis Bonmariage) et des installations vidéo très interactives (Ciné 3D).
La pièce suivante de John Cage, The Wonderful Widow of Eighteen Springs (1942), est du même acabit et l’on perçoit la richesse mélodique et lyrique associée à une écriture contemporaine. PUB 2 (2000) de Georges Aperghis achève d'arracher quelques rires aux derniers spectateurs réticents, l’œuvre consistant en une lecture exagérément lyrique et pleine d’humour de ce qui serait un manuel de lessive, accompagnée sur scène par un lave-linge lumineux. L’ouverture et l’exploration du potentiel vocal se poursuit avec la pièce d’Erwin Schulhoff, Sonata Erotica (1919), soit la représentation d’un orgasme féminin en trois parties.
On arrive ensuite dans la création instantanée, puisque la soprano propose au public d'inventer collectivement une œuvre vocale. La salle est divisée en quatre voix qui obéissent à des gestes commandant intensité, hauteur et intonation. Le spectateur est ensuite sollicité pour indiquer son air d’opéra préféré, qui servira de bande son modifiée (ici l’air de la Reine de la nuit ralenti), ou pour lire quelques lignes aléatoires d’un livre qu’il a sur lui. L’ensemble forme une pièce « collaborative et interactive improvisée » qui travaille notamment les effets de cluster et de saturation. On termine enfin avec Stripsody for solo voice de Cathy Berberian (1966) qui permet une véritable démonstration de virtuosité de la part de Sarah Defrise, et montre l’étendue de la voix dans ses explorations contemporaines, mêlant en une seule pièce bruits, imitations, expressions graphiques et lyriques. La démonstration des possibilités de l’instrument est imparable et l'on voit tout ce que la voix doit à la musique contemporaine.
Si l’on essaie de synthétiser les logiques présentées dans les sketchs humoristiques proposés entre chaque pièce, on voit bien que la réflexion ne se limite pas au pourquoi de la musique contemporaine et que celle-ci sert de prétexte pour toucher bien d’autres sujets. Si Schönberg et Boulez prendront au cours du show une balle perdue chacun, et que les bourses belges destinées aux interprètes pour la musique contemporaine en prendront aussi pour leur grade (traduites comme des « primes de pénibilité » pour supporter les œuvres et les égos des compositeurs vivants), la musique contemporaine est mise en avant pour sortir des stéréotypes vocaux et genrés – comme celui de la soprano légère ne pouvant interpréter que des vierges effarouchées (qui meurent souvent à la fin) dans l’opéra classique. In fine, toutes les composantes du spectacle fusionnent avec facilité, formant une performance quasi totale et un véritable plaidoyer pour la voix contemporaine, et pour l’humour comme outil didactique. Seul désavantage de ce spectacle : on a mal aux zygomatiques en sortant !