On retrouve la tente du Gstaad Menuhin Festival où on l’avait laissée la saison passée au moment de La Flûte enchantée, à savoir sous un orage d’été. Le point météo est certainement un marronnier de la critique musicale, mais à Gstaad (comme à Verbier), les grandes salles sont des immenses tentes en toile plastique, où un orage d’été a tôt fait de parasiter l’intégralité du concert. Qui plus est dans un lieu où l’acoustique relève plus d’un hall d’exposition que d’une véritable salle de concert, notre oreille a besoin de temps pour s’adapter. À Gstaad, éternelle arlésienne : à quand une salle en dur digne d’un tel évènement musical ?

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Jaap van Zweden à la tête du Gstaad Festival Orchestra
© Raphaël Faux

Il en fallait plus cependant pour décontenancer Jaap van Zweden, à la tête du Gstaad Festival Orchestra pour le premier concert symphonique de l'été sous la tente, avec Janine Jansen en première partie. Et il faudrait certainement reprendre cette première partie à rebours pour saisir toute la finesse qui caractérise le jeu de la violoniste. La Sarabande de la Partita en ré mineur de Bach jouée en bis est un moment rare, à peine susurré comme un son ancien et cristallin. En un souffle, le violon s’épuise dans un souvenir de musique, délicat et félin. Son parti pris avait désarçonné dans le premier mouvement du Concerto pour violon op. 64 de Mendelssohn, et l’on a mis du temps à entrer dans un propos où de nombreux traits étaient d’abords exécutés nerveusement, tirés vers leurs fins, où l’on sentait beaucoup de tension.

Il a même fallu quelques mesures pour sentir l’orchestre et la soliste parfaitement en symbiose, comme deux chats qui s’observent, s’apprivoisent. Mais déjà l’on va voir poindre un son diaphane, presque au deuxième plan, loin de toute la virtuosité habituelle dans ce concerto. L’enchainement avec le deuxième mouvement nous apporte même la clé d’une recherche de mélodie infinie, avec très peu de respirations, entre pudeur et souvenir : un grand moment. Et c’est finalement une véritable joie qui se déploiera dans le troisième mouvement, sur fond d’espièglerie. Les arabesques s’ouvrent, l’archet rebondit à souhait, il y a toujours plus de brillance pourtant dans un clair-obscur affirmé, sans tape-à-l’œil ni exubérance.

Janine Jansen, Jaap van Zweden et le Gstaad Festival Orchestra © Raphaël Faux
Janine Jansen, Jaap van Zweden et le Gstaad Festival Orchestra
© Raphaël Faux

Dans le même genre, ce qui nous fascine, et nous alerte quant à la qualité de ce que l’on est en train d’écouter, c’est la discrétion avec laquelle l’orchestre vient dialoguer avec la soliste. Passée la rencontre, la fusion, à pas feutrés, est extrêmement élégante. La direction de Jaap van Zweden en est la métonymie. Cette chorégraphie proche du tai-chi où les bras et le corps ne sont que courbes et ellipses laisse entrevoir la possibilité d’une force de frappe considérable sous des apparences de détente. Une force tranquille est à l’œuvre, où rien n’est laissé au hasard, dans un souci du détail qui frôle l’obsession mais où tout n’est que fluidité. Fascinant. Janine Jansen ne pouvait être que portée par une telle proposition, de la part d’un orchestre particulièrement homogène et d’un si haut niveau, réunissant le temps d’un été la fine fleur des musiciens des orchestres suisses.

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Jaap van Zweden à la tête du Gstaad Festival Orchestra
© Raphaël Faux

En deuxième partie, la Symphonie n° 7 de Bruckner est l’œuvre idéale pour laisser percer cette force tellurique qui couve. Jaap van Zweden sait tirer le meilleur de violoncelles et contrebasses extrêmement épais, massifs, de cuivres tonitruants et crépusculaires, de cordes à fleur de peau. S’il fallait filer une métaphore géologique, on dirait que tout ici semble construit par secousses successives afin de préparer une éruption à venir. Notamment lors de l’Adagio où l’orchestre tel de la lave en fusion, visqueuse, est maintenu sous pression pour finalement sourdre lors du fameux coup de cymbales central. Les cors qui suivent ne sont que cendre dans un chant funèbre plein de superbe, de grandeur et de majesté. Dans un soin particulier accordé aux transitions, à la ligne, aux arcs, aux blocs et aux micro-inflexions, Jaap van Zweden parvient à allier suavité et force, introspection et éloquence, masse et élégance, là aussi sans aucun excès. On accède progressivement, dans une remarquable homogénéité orchestrale, à une sensation de musique qui se grandit par elle-même, pourtant à partir d’une extrême pauvreté mélodique et thématique, jusqu’à toucher le ciel, dans le crescendo du tutti final.

À la sortie, l’orage tonne encore dehors, mais peut-être fallait-il cela à cette soirée comme juste écho d’une musique divine.

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