Alors que la semaine dernière les musiciens de l’Orchestre de Paris jouaient en préambule de leurs concerts l’hymne ukrainien, ceux de l'Orchestre National de France décident de faire entendre l’œuvre Hymne du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov pour afficher leur solidarité avec ce peuple durement éprouvé. Cette étreinte musicale écrite pour cordes seules et à l’harmonie sinueuse amène un recueillement particulièrement émouvant au sein de l’Auditorium de Radio France, laissant place à un silence d’une bonne vingtaine de secondes.

Le contraste est saisissant avec la Rusalka Fantasy qui ouvre officiellement le concert. Cet arrangement, qui constitue un étourdissant medley des principaux thèmes de l’opéra de Dvořák, a été écrit par Tomas Ille et Manfred Honeck, à la tête de l’Orchestre National de France ce soir. Les musiciens font preuve dès le début d’un engagement total, portés par un chef qui fascine déjà par sa propension à dessiner avec une grande clarté les lignes de chant, la main gauche à plat, compensant l’absence de chanteurs dans cette pièce entièrement orchestrale. Cuivres et percussions prédominent dans des tuttis magistraux et rutilants.
La direction de Manfred Honeck, ancien altiste au sein des Wiener Philharmoniker, semble s’affirmer sans autoritarisme aucun et sait être énergique sans nervosité, rappelant l’esprit d’un certain Claudio Abbado dont Honeck fut l’assistant à Vienne pendant quelques années. Ainsi arrive-t-il, en restant presque immobile sur le podium, à tirer des pianissimos d’orchestre insondables, tout comme il est attentif à la maîtrise des plans sonores. Le parfait agencement des thèmes, sautillants et liés, dans la Symphonie n° 8 de Dvořák confère à l’ensemble une séduisante lisibilité.
Le maestro se défait ainsi sans difficulté de l’acoustique traître de l’Auditorium de Radio France qui offre peu de réverbération aux musiciens : Honeck va chercher un son d’orchestre ancré dans le sol, sculpte avec grâce l’horizon et relance en permanence le discours, comme ce fameux troisième mouvement au tempo allant qui figure une danse en perpétuel mouvement.
L’orchestre le lui rend admirablement bien – en témoigneront les chaleureux applaudissements des musiciens lors des saluts. On ne boude pas son plaisir devant les innombrables saillies individuelles qui complètent un tableau déjà flatteur. Ainsi reste-t-on admiratif à l’écoute de la flûte de Silvia Careddu dans le solo fleuve du dernier mouvement, du cor anglais nostalgique de Laurent Decker dans Rusalka ou du violon toujours impeccable de Sarah Nemtanu. Le pupitre des violoncelles, à qui Dvořák confie souvent ses plus beaux thèmes, s’en donne à cœur joie derrière Raphaël Perraud, tandis que les cuivres affichent une plaisante rondeur, encouragés tout du long par le maestro.
On restera légèrement plus réservé quant à Jan Lisiecki qui intervenait dans le Concerto pour piano de Grieg, placé entre les deux opus de Dvořák. En dépit de quelques moments d’apesanteur (l’entrée du piano au début du mouvement lent, avec une sonorité suave) et une vélocité jouissive (qui déclenchera l’admiration enthousiaste d’un spectateur à la fin du premier mouvement), le soliste ne parvient pas à donner une lecture totalement aboutie d’un concerto à l’interprétation morcelée et perturbée par quelques maniérismes et soubresauts peu intelligibles.
La symphonie de Dvořák rendra bien vite ces réserves anecdotiques ; ainsi entendra-t-on à l’issue du concert des spectateurs entonner gaiement les thèmes bohémiens jusqu’à la sortie de la Maison de la radio et de la musique, faisant un instant oublier l’actualité tragique en provenance de l’Est de l’Europe.