À 24 ans, Tarmo Peltokoski jouit déjà d’une véritable aura de prestige, en particulier depuis sa nomination comme directeur musical de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse. En ce jeudi 16 janvier, le jeune chef finlandais est invité par l’Orchestre Philharmonique de Radio France pour interpréter deux grandes œuvres du répertoire… À cette occasion, ce sont deux facettes fort différentes du maestro que l’on va découvrir.
En première partie, place au pianiste Nikolaï Lugansky qui s’illustre avec fougue dans le Concerto n° 3 de Prokofiev, un ouvrage qui convoque un large spectre d’affects, alliant la percussivité propre aux premiers concertos du compositeur et des élans plus lyriques évoquant de soudains affleurements de souvenirs. Lugansky sait parfaitement faire ressortir tour à tour la violence et la poésie contenues dans ces pages. Mieux : ce soir, il ne joue pas simplement comme un concertiste expérimenté mais comme un être véritablement habité. Ce n’est pas la musique en tant qu’objet esthétique qu’il donne à entendre ; tout le vécu qu’il y a derrière – souffrance, espoir, rage, rêve – paraît dans son corps, dans ses regards, dans l’urgence qui précipite ses mains sur le clavier… au point qu’il semble être lui-même le compositeur de l’œuvre, la jouant par cœur en puisant dans les tréfonds de son intimité. C’est éminemment touchant, saisissant, troublant.
Cependant cette approche de l’œuvre, si juste et authentique soit-elle, correspond avant toute chose à la lecture toute personnelle qu’en fait Lugansky, qui se retrouve par conséquent parfois trop seul. Pour chacune des sections de l'ouvrage, l’orchestre parvient certes à s’adapter avec finesse et à trouver la même brillance, le même éclat que le piano (immenses bravos à la clarinette de Jérôme Voisin et à la flûte de Magali Mosnier !). En revanche la cohésion d’ensemble peine à se faire, tant les changements de tempo sont brusques et fréquents, la vélocité du soliste quasi impossible à suivre, et la direction de Peltokoski bien embêtée devant une interprétation si périlleuse.
Après l’intensité de cette demi-heure pleine de tension, le bis incroyablement onirique que nous offre Lugansky, la Romance op. 21 n° 5 de Rachmaninov (« Lilas »), apporte au cœur du programme une respiration bienvenue.
Puis c’est la Cinquième Symphonie de Mahler, que Peltokoski dirige sans partition. Immédiatement, une aisance nouvelle se propage dans les gestes du chef, au bras droit d’une rigueur irréprochable et au gauche d’une fluidité à l’élégance superbe. On a le sentiment de l’accueillir enfin sur scène à ce moment-là. Les conséquences de cette libération sont impressionnantes. L’effectif s’est agrandi, certes, mais l’épanouissement sonore de l’orchestre est vraiment sans commune mesure avec ce qui précédait. Les phrasés sont déployés avec intelligence, un souffle profond guide la gestuelle du chef et, dans son prolongement, le jeu des instrumentistes dont l’unité en tant qu’ensemble devient organique, évidente.

Le Philhar' est sans nul doute un excellent orchestre ; mais ce soir, une confiance perceptible semble s'être créée entre direction et interprètes, rehaussant encore le niveau de chacun des pupitres. Les cordes emmenées par Nathan Mierdl sont magnifiées grâce aux élans généreux que ne cesse de leur insuffler Peltokoski, la trompette (Javier Rossetto) et le cor solo (Alexandre Collard) livrent des performances juste parfaites – personnelles, étincelantes, mémorables – en raison de la place qui leur est laissée à raison, la harpe de Nicolas Tulliez résonne aussi librement que dans une cathédrale vu le traitement délicieusement précis des nuances dans l’« Adagietto »… C’est indéniable, Peltokoski prend soin de cette Cinquième ; il parvient à déployer sans hâte le son dans l’espace, bâtissant avec délicatesse les structures de chaque mouvement, n’oubliant aucun aspect de la mise en place d’une si belle et si célèbre symphonie.
Seul bémol, et non des moindres : oui, Peltokoski est absolument superbe lorsqu’il suit ses propres intuitions et se laisse aller à des gestes impétueux, transmettant une charge émotionnelle électrique tout de suite répercutée dans l’orchestre. Ces impulsions géniales, hélas, ne surviennent que ponctuellement, et s’immiscent au sein d’une direction toujours rigoureuse et globalement assez conventionnelle. C’est dommage, car le potentiel de Peltokoski est immense et indéniable ! On a hâte de le revoir encore et encore, dans Bruckner par exemple – musique dont la démesure devrait lui convenir à merveille et lui permettre de se libérer tout à fait.