On était sûre que l’ouverture de saison de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon allait être festive, grâce à un programme spectaculaire. Belle mise en bouche, l’ouverture très colorée d’Arteveld d’Ernest Guiraud, créée en 1874 et dédiée à Georges Bizet, fait entendre dans son romantisme tardif une sonorité séduisante des cordes de l’ONL, desquelles se détachent bien les délicates interventions arpégées de la harpe. Ces six minutes d’introduction à peine se muent progressivement en véritable feu d’artifice sous la direction de Nikolaj Szeps-Znaider : si cette partition est très rarement donnée en concert, l'interprétation du soir montre que c’est de la musique à programme riche en effets et qui ne manque pas de style, jusqu'à un finale très puissant.

C’est cependant la suite qui marquera les mémoires. Quand Nikolaï Lugansky s’avance vers le piano pour interpréter le célébrissime Concerto n° 2 de Rachmaninov, c’est comme s’il avait déjà joué : l’accueil que lui réserve le public est des plus chaleureux. L’expérience que Lugansky et l’ONL s'apprêtent à nous faire vivre, c’est une traversée océanique en première classe de paquebot. L’orchestre, profonde mer de cordes graves en ce début de partition, nous entoure de ses vagues, impressionnantes mais pas encore menaçantes. Si le tonnerre commence à y gronder par moments, une éclaircie soudaine se dégage par le piano, où le soliste fait apparaître la limpidité cristalline de l’eau, débouchant sur l’arrivée d’une nuit étoilée réconfortante.
L’Adagio séduit ensuite par le duo entre Nikolaï Lugansky et Jocelyn Aubrun à la flûte, dialogue chromatique dans lequel s’immiscent aussi une deuxième flûte et des violons très à l’écoute. Les contretemps du troisième mouvement sont quant à eux à nouveaux très joliment marqués, avec une parfaite synchronisation de l’orchestre et du soliste. Le finale somptueux, dont l’ONL traduit bien le caractère majestueux, rappelle par son monumentalisme La Grande Porte de Kiev dans les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, suscitant l’idée que si le Titanic n’avait pas coulé, c’eût été cette musique qui aurait dû illustrer son arrivée à New York.
Ce Concerto en ut mineur est un triomphe, autant pour le soliste que pour l’ONL et son capitaine : Szeps-Znaider a dirigé d’une main ferme son navire à travers tous les écueils de la traversée, par son attention constante portée au soliste, ainsi qu'aux membres de son équipage, que son énergie puissante entraîne sans faillir. Lugansky prolonge encore un peu la plongée dans Rachmaninov avec en bis le Prélude op. 32 n° 12, délicat et lyrique, que domine la main gauche sur les arpèges virevoltants de la droite.
Si ce Concerto n° 2 a marqué le temps fort de l’ouverture de saison (et un sommet précoce de la saison toute entière !), la Symphonie n° 2 d’Anton Bruckner, dans la même tonalité, va en principe bien avec son prédécesseur. Mais l’énergie déployée dans la première partie du concert est si puissante que ce qui en subsiste dans la seconde paraît nettement plus terne et même, par moments, un peu moins soigné, par un manque d’homogénéité de pupitre par-ci, une attaque pas assez cohérente par-là ou tel fortissimo un peu plus braillard que nécessaire. Les solistes des pupitres de vents (cor, hautbois, clarinette, flûte) profitent cependant de la partition pour mettre en avant leurs qualités, et l'ensemble soigne agréablement les différentes atmosphères de l'ouvrage, lançant une dynamique qu’on souhaite emblématique de la suite de la saison.