La soirée de ce vendredi à l’Auditorium de Lyon se révèle une pochette-surprise. Nikolaj Szeps-Znaider, souffrant, est remplacé pour ce concert dédié à Ravel, déjà donné la veille, par son chef assistant à l'Orchestre national de Lyon, Laurent Zufferey. Mais la vraie surprise, c’est le Boléro pour Ravel du jazzman Ibrahim Maalouf, donné en quasi création mondiale – sa trompette n'a retenti qu'à Pau en janvier dans cette commande commune de l’OPPB, de la Philharmonie de Paris et de l’ONL.

Le programme est pittoresque : l’Alborada del gracioso de Ravel, dont on célèbre en 2025 le 150e anniversaire de la naissance, introduit les couleurs hispaniques que rythment pizzicati, harpes et percussions. Les castagnettes étant de rigueur, leur interprète, qui alterne avec les cymbales, a un full time job dans ces premières huit minutes très animées.
Cette mise en appétit est immédiatement suivie par la création, car dans le menu copieux s’efface Le Tricorne de Manuel de Falla, prévu à l’origine. Entre en scène Ibrahim Maalouf, à la démarche aussi décidée que rafraîchissante, baskets aux pieds. Il présente avec humour, humilité et humanité sa création face à l’œuvre la plus jouée au monde. Son Boléro pour Ravel est porté par une mélodie nostalgique, lancinante, déclinée à travers six variations, possédant selon le compositeur également une claire dimension cinématographique.
La « version originale » d’un événement vécu par un enfant, narrée par la trompette, est délicatement accompagnée par le piano. Le thème, dans lequel dominent les tonalités mineures, est d’abord pathétique, puis plus triomphal et déclamatoire, lorsque l’enfant s’affirme avec fierté. On voit devant son œil intérieur une enfance des années 1950, un garçonnet jouant au cerceau en culottes courtes, Piaf à l’arrière-plan sonore. Les cinq numéros suivants s’attachent à rendre des points de vue divers sur la scène inaugurale. C’est d’abord aux amis de l’enfant, à ses « potes », incarnés par les cuivres, de la raconter : la trompette classique fait entendre cette complicité avec le narrateur originel, dont le timbre feutré de jazz est ici relayé par une clarté rayonnante.
Puis les cordes, au-dessus desquelles volète à nouveau la trompette en protagoniste, reprennent le récit 30 années plus tard, et les teintes plus matures du soliste dialoguent de façon expressive avec le violon solo (Giovanni Radivo). La rumeur publique, chuchotée, se transmet naturellement par le souffle des bois, dans une quatrième version un peu plus terne. Changement radical, intimiste, ensuite : c’est au héros devenu très âgé, à la voix tremblante et presque inaudible, que la narration revient, par la harpe (Éléonore Euler-Cabantous) et le violoncelle (Nicolas Hartmann). L’ultime version, confiée au tutti, est « telle que l’Histoire la retiendra ». Le hautbois (Anna Štrbová) y a son mot à dire, mais c’est toujours l’invité qui est au premier plan, dans un finale où le héros resplendit en ténor verdien.
La composition est un peu étonnante pour une commande passée à de grands orchestres : seul le sixième volet exprime les couleurs collectives qu’on aurait aimé entendre se développer davantage dans cet hommage à Ravel, où la caisse claire fait la citation décisive du Bolero, le seul et unique. Mais la pièce a la qualité d’une musique immédiatement accessible, médiatisée par son aspect cinématographique, qui fait surgir immanquablement des scènes de grandes œuvres du grand écran, tels les couleurs splendides, les passions et les petits et grands drames de Ce que le jour doit à la nuit (2012) d’Alexandre Arcady (d’après le roman de Yasmina Khadra), qui suit le petit Younès depuis ses neuf ans à travers l’histoire de l’Algérie au XXe siècle.
À la baguette, Laurent Zufferey, dynamique et précis, tenu par une belle tension corporelle, fait ensuite danser le Rosenkavalier de Richard Strauss en développant dans les cordes des dentelles diaphanes, qui contrastent avec la fanfare claironnante des cors. Si ces valses ne sont pas aussi viennoises que celles du récent Nouvel An, on leur reconnaît une touche alpine. Et si le chef montre ses qualités – notamment le rythme et le grand éclat, ce dont profite grandement ce programme –, on aimerait entendre sa direction dans une œuvre qui développerait des teintes plus mélancoliques.
Dans La Valse composée en hommage à l’autre Strauss, le Walzerkönig, Ravel revient en splendeur. L’ONL lui confère une volubilité particulière, grâce à des glissandi presque taquins, avant de s’emballer dans un tourbillonnant crescendo dont les percussions sonnent le glas de façon tenace, faisant voler en éclat l’idée de la valse comme pur divertissement.