Tradition depuis 2018 à l’Orchestre Philharmonique de Radio France : jouer la Neuvième Symphonie de Beethoven pour lancer la nouvelle année avec, en alternance d’une saison sur l’autre au pupitre, son directeur musical ou un chef invité. Après Philippe Herreweghe l’an passé, c’est donc à Mikko Franck de porter à nouveau le flambeau des réjouissances fraternelles invoquées par Schiller dans l’Ode à la joie, et débusquer « le Créateur […] par-delà le firmament ! ». Seulement, il faudra pour l’auditeur s’armer de patience dans l’Auditorium de Radio France, et concentrer toute son attention sur le chœur et le quatuor de solistes pour espérer entrevoir l’ombre de ce « père bien-aimé », vraisemblablement caché ce soir derrière les nues.

Mikko Franck © Christophe Abramowitz / Radio France
Mikko Franck
© Christophe Abramowitz / Radio France

On commencera donc le tour d’horizon de cette « symphonie des symphonies » par l’une des rares satisfactions de la soirée : la partie vocale développée dans son dernier mouvement. Si l’entrée faussement autoritaire et un brin nerveuse de Matthew Rose ne prend pas au col, celui-ci se montre plus convaincant dans le registre enjoué et chantant de la seconde strophe ; sans asséner son texte, sans le hacher non plus, la basse trouve au gré d’une belle diction et d’un léger legato l’esprit et la lettre des vers de Schiller.

À ses côtés, Gerhild Romberger se fait malheureusement discrète et trop peu audible dans ce quatuor largement dominé par le ténor et la soprano. Malgré le déséquilibre global qui en résulte, on ne boude pas son plaisir d’entendre le duo formé par Chen Reiss et Michael König : tandis que la première parvient à sublimer la ligne de chant heurtée écrite par Beethoven, le second traverse l’orchestre et le chœur avec l’aisance des ténors les plus héroïques. Préparé par Agnieszka Franków-Żelazny, le Chœur de Radio France montre quant à lui une ferveur communicative, une couleur homogène et transparente qui – nonobstant l’allure quelque peu saucissonnée et décousue du finale dans son ensemble – laissent l’auditeur sur une note positive…

Du moins l’auditeur indulgent. Car dans l’Allegro introductif, la battue ronflante de Mikko Franck, dont on ignorait cette veine de vieux Kapellmeister, éclaire moins la musique d’une lumière originelle, censée sortir le monde du chaos, que de la pâle lueur d’un cierge mollement consumé : la pâte sonore est massive, sans nerf, sans rebond, sans vigueur. Si la construction générale n’est pas à déplorer et montre même une belle tenue, son excessive solennité laisse l’auditeur quelque peu extérieur.

Comme à son habitude, le chef laisse çà et là tourner la belle machine du Philhar’ ; mais soit que les musiciens soient devenus blasés de la Neuvième Symphonie, soit qu’ils aient toujours la tête aux fêtes de fin d’année, la machine semble ce soir enrayée. Cordes touffues, bois individuels et peu chambristes, manque de discipline et de réactivité : non seulement la phalange radiophonique est méconnaissable, mais l’esprit beethovénien n’y est pas non plus. Certes le Scherzo prend l’allure d’un implacable mouvement perpétuel, mais la mécanique, faute de ciselure et de mordant, s’essouffle trop vite pour que sourde toute l’ironie du langage – en témoignent ces coups de timbales bien sérieux.

Tout aussi engourdis dans l’Adagio suivant, les musiciens ne parviendront pas à sortir la musique du statisme et de l’abstraction, malgré la souplesse et la légèreté de la direction. L’annonce du thème de l’Ode à la joie par les violoncelles couronnera, comme un ultime exemple, le manque général d’expressivité et de caractère qui aura plombé les ailes de cette Neuvième Symphonie. Sans remettre en question l’exécution annuelle de cette œuvre dont on ne saurait se lasser, renouveler le discours ne paraît toutefois pas chose aisée. Espérons donc que les Neuvième du Philhar’, à force de redondance, ne finissent pas par tourner en rond.

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