Comme pour Le Trouvère de Verdi, on est tenté d’admettre qu’un grand quatuor vocal suffit seul à monter de bons Puritains : le livret de cet ultime opéra de Bellini est plutôt pauvre pour le metteur en scène, son contexte politico-religieux opposant puritains républicains et partisans royalistes servant essentiellement de faire-valoir aux rebondissements amoureux d’Elvira et Arturo. Cet état de fait n’a pas échappé à Laurent Pelly qui dévoilait, en 2013, une mise en scène sobrement efficace de l'ouvrage, concentrée sur son intrigue amoureuse. Aussi, pour la troisième occurrence de cette production à l’Opéra Bastille, c’est bien sa distribution prometteuse qui suscite l’intérêt, et ce d'autant plus que ses deux chanteurs principaux, Lisette Oropesa et Lawrence Brownlee, ont récemment gravé leur interprétation au disque.
Hélas, ce plateau vocal entièrement renouvelé ne tient pas toutes ses promesses. Il est déjà déséquilibré par le Riccardo très en difficulté et approximatif d’Andrei Kymach : le baryton fait certes valoir un volume sonore conséquent, mais qui ne fait que renforcer l’indigence du timbre, la rigidité de l’incarnation et l’inintelligibilité du texte. Constamment contraint et forcé, il indispose d’entrée par une cavatine tout à la fois monolithique et creuse, dénuée de toute l’émotion qu’on attend de l’amoureux éconduit au profit d’Arturo.
Ce dernier est campé par un Lawrence Brownlee au souffle court et au volume modeste dans « A te, o cara », qui peine à assouplir une ligne vocale figée par une trop grande économie de legato. Oublions donc ce premier acte qui ne rend pas justice à la performance générale du ténor qui, lorsque son personnage reviendra reconquérir sa belle après trois mois d’errance, tiendra seul la scène dans l’intransigeant début du troisième. Là, il fait valoir cette souplesse, cette agilité, cette qualité de projection qui complimentent un timbre certes étroit, mais toujours précis et lumineux. Soulignons en outre l’évidente complicité qui unit les amants et qui culmine dans un « Vieni fra queste braccia » admirable d’intimité.

En prima donna, Lisette Oropesa ne convainc pas totalement non plus : la faute à un timbre voilé dans les nuances forte, occultant les couleurs cristallines qu’on lui connaît habituellement sur le haut de la tessiture. Il n’empêche que même diminuée, son Elvira domine par la justesse impeccable du colorature, l’élégance dans les changements de registre et une aisance scénique confondante. Pourtant, c’est peu dire que l’acte II ne ménage pas son personnage, psychologiquement torturé par la trahison d’Arturo, naviguant entre folie et désespoir : Lisette Oropesa tient la barre avec une agilité et un naturel d’autant plus désarmants qu’elle insuffle au belcanto cette dimension supplémentaire de tragédienne, réservée aux plus grandes. S’extirpant de la simple et caricaturale démonstration de virtuosité, la soprano prête à son Elvira, par son ampleur dramatique, des allures de Violetta.
Le Giorgio exemplaire de Roberto Tagliavini complète quant à lui le quatuor de la meilleure des manières : paternelle, réfléchie, sensible, sa basse est idéale de caractère et d’aboutissement dans la réalisation vocale. Si les Chœurs de l’Opéra de Paris, fort sollicités par la partition, font preuve d’une fiabilité remarquable, le reste de la distribution ne marquera pas les esprits.
Véritable orgie vocale, le belcanto selon Bellini peut compter sur l’écrin discret de Laurent Pelly – dont la qualité première est bien de ne jamais contrarier le chant. Sur un plateau tournant, le metteur en scène dispose l’ossature d’un château de la Renaissance, épure évidée dont ne saillissent que les arêtes et la ferronnerie : tantôt cage à oiseau, tantôt spectacle d’ombres chinoises projetées sur les monochromes délavées du fond de scène, l’austérité qui s’en dégage rappelle à bon escient l’Angleterre puritaine, ici coloriée en bleu et gris. Cette impression est renforcée par ce savant mélange d’authenticité et de stylisation dans la confection des costumes et des décors, créant un décalage aussi poétique qu’irréel, à l’instar de ces gardes et courtisanes dont les rondes rappellent le mouvement des automates animant les anciennes boîtes à musique. Une lecture hélas un peu monotone et à la direction d’acteur parfois grossière, qui peut s’avérer narcotique (ou hypnotique, c’est selon) par son refus du geste théâtral.
En fosse, une Introduzione bâclée et éparpillée a d’abord fait craindre le pire pour ces Puritains, avant que la direction de Corrado Rovaris ne redresse la barre au fil du premier acte. Épousant au mieux l’élan dramatique et romantique de la partition, le maestro sait se montrer opportuniste, poussant l’Orchestre de l’Opéra de Paris à rutiler lors des quelques intermèdes instrumentaux, tout en restant attentif au plateau vocal dont il prendra soin de ne jamais couvrir le modeste volume.