France Musique annonce que le programme du concert de ce jeudi 7 novembre célèbre le 10e anniversaire de l'inauguration de l'Auditorium de Radio France. En réalité, seules deux très courtes œuvres (dont une création ad hoc) évoqueront directement le 14 novembre 2014 et cette soirée qui avait rassemblé toutes les forces musicales de Radio France.
Slava's Fanfare d'Henri Dutilleux ouvre le bal comme elle l'avait fait dix ans plus tôt. L'Orchestre National de France était alors dirigé par son chef Daniele Gatti ; ce soir, c'est le chef colombien Andrés Orozco-Estrada qui officie devant une scène presque vide et une salle qui est loin de faire le plein. Cette brève pièce de Dutilleux est un hommage à Mstislav (« Slava » pour les intimes) Rostropovitch, violoncelliste et chef qui avait créé en 1970 Tout un monde lointain sur son instrument fétiche et Timbres, espace, mouvement à la baguette à Washington en 1978. Quatre trompettes, quatre trombones, trois petites flûtes et une percussion sont spatialisés... sur scène.

Après cet apéritif inratable, place de nouveau à l'héritage de Rostropovitch, puisque c'est le grand violoncelliste russe qui fut le dédicataire et créateur des deux concertos pour violoncelle de Chostakovitch : le premier est confié ce soir à l'archet d'Edgar Moreau. Pour l'auditeur habitué à l'ardeur rugueuse qui habite Rostropovitch dans le premier mouvement, un Allegretto quasi obsessionnel où le compositeur martèle les quatre notes de son patronyme (D.S.C.H.), l'entrée en matière d'Edgar Moreau marque une rupture : nulle hargne, nul expressionnisme dans son jeu qui surprend presque par son classicisme, et dans le son velouté que le soliste tire de son instrument, un David Tecchler de 1711.
Le dialogue avec le petit orchestre qui l'entoure est, du coup, moins piquant, percussif. Malgré une gestique abondante et redondante du chef, il perd de sa dimension sarcastique. On est d'abord décontenancé et, comme toujours, lorsque l'interprète est un musicien inspiré, on se range à sa vision. Le deuxième mouvement déploie une cantilène tragique, où la pudeur et l'élégance d'Edgar Moreau nous saisissent d'une émotion d'autant plus vive qu'elle n'est pas recherchée. Déjà dans cette œuvre de 1959, Chostakovitch raréfie l'orchestre, confiant au seul célesta les ponctuations de la berceuse du violoncelle, comme il le fera dans le Second Concerto et son ultime symphonie.
Le troisième mouvement est confié à l'instrument seul, une cadence redoutable, torturée, douloureuse, témoignant des interrogations stylistiques du compositeur. Edgar Moreau en surmonte tous les écueils, sans forcer le trait, et nous conduit à un finale jubilatoire, comme une récapitulation de tout le spectre des sentiments qui parcourent l'œuvre. Le soliste et l'orchestre offriront un bis un peu inattendu, la Vocalise de Rachmaninov.
C'est une autre fanfare qui ouvre la seconde partie, cette fois fruit d'une commande passée à un jeune compositeur japonais, Yuki Nakahaski, 29 ans, Deuxième Prix du Concours de Genève en composition (2022), élève à Paris de Stefano Gervasoni et Yan Maresz entre autres. Dans le même effectif que Slava's Fanfare, les instrumentistes sont cette fois-ci véritablement disséminés dans l'Auditorium. « La pièce commence avec des chants d'oiseaux joués par les trois piccolos, bientôt les cuivres leur répondent par des cris d'animaux plus mentaux, issus de ma mémoire de compositeur », écrit Nakahaski dans sa note d'intention. L'œuvre, tout aussi brève que celle de Dutilleux, s'achève par une coda ouverte, « symbole d'une salle de concert qui écrit son avenir ». C'est très plaisant, amusant même, mais un autre titre que « fanfare » eût été plus approprié.
Les fans d'Edgar Moreau devaient être nombreux dans la salle en première partie, parce que l'Auditorium paraît bien vide pour la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, censée être le clou de ce programme. Pas sûr qu'ils aient eu tort de manquer une interprétation où, du début à la fin, le chef semble être passé complètement à côté de l'œuvre, avec un Orchestre National de France peu concentré, peu concerné peut-être, à moins que la gestique emphatique d'Orozco-Estrada n'ait lassé les musiciens au lieu de les stimuler.
Qu'un chef veuille s'éloigner d'une certaine tradition soviétique, c'est une option tout à fait légitime et éloquemment illustrée par nombre de grandes baguettes contemporaines, mais qu'il ne prenne aucune direction affirmée, se contentant d'une lecture au premier degré, est incompréhensible. On ne peut pourtant pas s'abstraire du contexte de l'œuvre : il faut entendre et traduire la douleur qui s'exprime dans le Largo abyssal du troisième mouvement, la violence de certains paroxysmes, les cris d'horreur masqués par des fanfares saturées. Au lieu de quoi Orozco-Estrada livre une version brouillonne et bruyante qui nous laisse pour le moins sur notre faim.