On n'avait encore jamais entendu Cristian Măcelaru dans Beethoven. C'est dire si la curiosité était vive de découvrir ce soir la vision du chef roumain de la Symphonie n° 3 dite « Héroïque » avec l'Orchestre National de France. On quittera la Maison de la radio et de la musique malheureusement pas convaincu de la pertinence d'une lecture singulièrement dénuée d'envergure.

Quand un chef aborde pareil chef-d'œuvre, point de bascule dans le corpus de Beethoven et point de départ de ce qu'on appellera le romantisme en musique, il doit avoir quelque chose à dire, à affirmer. Dès l'entame, ces trois accords initiaux qui doivent surprendre l'auditeur par leur puissance et leur verticalité impérieuse, on devine que l'approche sera pour le moins prudente, ou plus exactement qu'elle ne prendra aucun parti résolu. On a entendu récemment à la Philharmonie Daniel Barenboim rejoindre Furtwängler ou Klemperer dans des lectures contemplatives des Sixième et Septième Symphonies de Beethoven, ou ici même, à Radio France, Maxim Emelyanychev proposer un parcours aussi original que passionnant avec le Philhar' dans cette même Eroica.
Avec Măcelaru, on apprécie la mise en place, les bons équilibres entre les pupitres, mais tout ce qui fait le génie de Beethoven, singulièrement dans le vaste « Allegro con brio » initial, les développements inattendus, les ruptures, les suspensions, les dialogues entre les pupitres, n'est quasiment jamais valorisé par une vision personnelle. Sans doute le chef veut-il éviter cette propension trop fréquente chez ses jeunes collègues à l'excès d'originalité, mais la neutralité n'est pas non plus une option. La « Marche funèbre », dans un tempo plutôt allant, souffre du même défaut d'absence de parti pris. Le scherzo est pris trop lent, et manque de l'esprit champêtre et joyeux qu'y insuffle Beethoven. Quant au finale, il va son petit bonhomme de chemin sans cette irrésistible vitalité qui devrait enflammer tout l'orchestre.
Avant l'entracte, était proposée une partie des programmes que vont jouer les musiciens du National et leur chef au cours d'une brève tournée américaine. Dans le Deuxième Concerto de Saint-Saëns, on va entendre Marie-Ange Nguci qu'on suit avec beaucoup d'attention, notamment depuis qu'elle s'est révélée une authentique mozartienne en 2022. Ce soir, on retrouve une vraie maîtrise de l'instrument, un ambitus peu commun de nuances et bien sûr une virtuosité à toute épreuve qui se joue de toutes les chausses-trapes que Saint-Saëns a semées dans le plus connu et le plus joué de ses cinq concertos.
Il manque toutefois à cette prestation techniquement parfaite cet esprit si français, cette allure, ce panache qu'y mettaient un Rubinstein ou le jeune Nelson Freire, pour assumer selon le bon mot de George Bernard Shaw que le concerto commence comme du Bach et finisse comme de l'Offenbach. Comme Martha Argerich avec la Sonate K141 de Scarlatti ou l'une des Fantasiestücke de Schumann, Marie-Ange Nguci a son bis favori : la cadence du Concerto pour la main gauche de Ravel. On en vient à regretter qu'elle n'ait pas joué tout le concerto.
C'est l'actuelle flûte solo de l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome, Adriana Ferreira – co-soliste du National jusqu'en 2018 – qui ouvrait bien timidement le concert avec le Prélude à l'après-midi d'un faune. Timidité, c'est l'impression qui va dominer l'interprétation de Măcelaru, comme si l'érotisme de l'écriture debussyste, la sensualité orchestrale étaient gommés au profit de couleurs pastel qui ne dépasseront jamais le mezzo forte. Mais tous les pupitres du National excellent dans cette version chambriste qui aura été le meilleur moment de la soirée.

