Pour qui aime la musique vocale et plus encore chorale sous toutes ses formes et en particulier (mais pas exclusivement) le répertoire sacré, se rendre aux Rencontres musicales de Vézelay tient presque du pèlerinage, tant est grande la ferveur d’un public aussi détendu que connaisseur qui peut donner libre cours à son enthousiasme tout au long de la journée, depuis la séance matinale de Qi Gong en musique jusqu’aux moments de détente offerts dans le Jardin de la Terrasse. Dans cet espace attenant à la Basilique, se produiront notamment l’exquis duo Ma petite chanson dans un florilège du répertoire des Beatles (après le grand concert du 25 août au soir) avant que, le lendemain, l’excellente Compagnie Biscoitinho n'entraîne un public ravi dans un bal brésilien.
On ne s’étonnera cependant pas qu’on se soit abstenu de faire suivre la Passion selon saint Matthieu, premier concert du soir donné le 24 août dans la Basilique, d’un moment de divertissement qui aurait trop brutalement ramené sur terre des auditeurs transportés pendant près de trois heures par une exaltante interprétation du chef-d’œuvre de Johann Sebastian Bach. À la tête de l’excellent ensemble Gli Angeli Genève, Stephan MacLeod a su réunir une distribution instrumentale et vocale de premier choix.
Quel plaisir de retrouver dans les rangs de l’orchestre rien moins que Marcel Ponseele aux hautbois et Ageet Zweistra au violoncelle, ces musiciens confirmés faisant profiter de leur expérience leurs dignes successeurs que sont, entre autres, Alexis Kossenko au traverso, Romina Lischka à la viole de gambe, le hautboïste Emmanuel Laporte ou le brillant bassoniste Philippe Miqueu.
Werner Güra est un Evangéliste sobre et digne, à qui ne manque que cette espèce de compassion déchirante que d’autres ont su trouver dans cette partie. La basse Alessandro Ravasio incarne un Jésus très bien chanté mais aussi d’une grande humanité et douceur. Remplaçant au pied levé Miriam Feuersinger souffrante, la soprano Miriam Allan offre une prestation très engagée, même si l’autre soprano soliste Aleksandra Lewandowska séduit davantage par son timbre velouté et chaleureux.
Décidément au four et au moulin, Stephan MacLeod ne se contente pas de diriger mais rejoint aussi le pupitre des basses et prend à son compte les rôles de Judas et de Pilate, s’illustrant en outre dans un touchant « Mache dich, mein Herze, rein ». L’autre basse, Matthew Brooke, campe un Pierre assuré et sonore. Le contre-ténor Alex Potter fait forte impression, en particulier dans un sublime « Erbarme dich » qu’il pare d’une bouleversante humanité et où il bénéficie d’une magnifique contribution orchestrale.
Quant au chœur, le chef avait fait le pari (en l’occurrence réussi) de se limiter à deux chanteurs par partie, les solistes se voyant adjoindre sept ripiénistes. Il faut ici saluer l’extraordinaire ductilité de l’ensemble vocal, aussi bien dans les parties de turba que dans la sérénité des chorals, comme dans ce « O Haupt voll Blut und Wunden », infiniment désolé plutôt que funèbre.

Mais la réussite de cette interprétation tient plus que tout à l’intelligence du texte, au sens de la narration et à la cohérence de la vision du chef genevois : ce qu’on entend ici n’est pas une enfilade de morceaux plus beaux les uns que les autres, mais un récit prenant, formant un tout organique. Enfin, soulignons que si la généreuse réverbération de l’immense vaisseau vézelien assure un très beau fondu choral et orchestral, elle n’est pas toujours à l’avantage de la clarté des interventions des chanteurs, les consonnes tendant à être gommées par l’acoustique du lieu. Raison de plus pour saluer l’initiative de placer, tous les dix mètres environ, à gauche comme à droite des rangées d’auditeurs, des écrans où s’affiche en français le texte de l’œuvre, ce qui en aura grandement facilité la compréhension.
Le voyage de Patrice a été pris en charge par les Rencontres musicales de Vézelay.