Que faire à 70 ans, quand on et l’un des meilleurs chef de la planète et que l’on a dirigé pendant 16 ans les Berliner Philharmoniker puis pendant 6 ans le London Symphony Orchestra ? Sir Simon Rattle a choisi : il dirige depuis 2023 le fabuleux Orchestre symphonique de la radio bavaroise. Basée à Munich, cette phalange fait partie des meilleurs orchestres internationaux, et figure même au 3e rang mondial dans le classement établi par Bachtrack en 2023. Le concert de ce vendredi soir à la Philharmonie de Paris le confirmera s’il en était besoin !
Avec la Symphonie n° 2 de Robert Schumann, nous sommes au coeur de l’ADN de cet orchestre de grande tradition, avec un chef pour lequel le romantisme allemand n’a plus de secret. L’interprétation est superlative : le fondu et la rondeur des cordes, les couleurs et la perfection des bois et des cuivres, la fluidité et l’énergie sont au service d’une œuvre où affleurent la dépression et le retour vers la lumière que vit le compositeur. Le motif initial aux cuivres – faisant écho aux hallucinations sonores auxquelles Schumann était sujet – donne le ton à un « Allegro » marqué par une approche chambriste et sans pathos, ciselée et toute en délicatesse.
Dans le fébrile « Scherzo », le dialogue des premiers violons à jardin avec les seconds violons à cour permet un jeu virtuose et spatialisé des plus frappants, avec un vertigineux accelerando dans la coda conclusive. Le méditatif « Adagio » s’ouvre sur un bouleversant chant du hautbois, avant d’arriver à un fugato joué par les cordes dans un pianissimo impalpable. Quand au jubilatoire « Allegro » conclusif, il est mené par Rattle sur un tempo alerte avec une vitalité irrésistible, culminant dans une vigoureuse apothéose finale.

Après l’entracte, place à la féérie de L'Oiseau de feu d’Igor Stravinsky, présenté ici dans sa version intégrale. Premier des 13 ballets du compositeur, ce chef-d’œuvre d’un jeune homme de 28 ans est un véritable traité d’orchestration, tirant partie des sonorités luxuriantes d’un orchestre gigantesque réunissant ici plus de 100 musiciens : fabuleuse jouissance sonore pour l’auditeur, tant l’acoustique de la grande salle Pierre Boulez magnifie la splendeur des timbres de chacun des solistes de la formation bavaroise !
Rattle connaît son Stravinsky sur le bout des doigts : il dirige par cœur, sans baguette, privilégie la transparence et un raffinement sonore de tous les instants. Impossible de retracer ici la subtilité avec laquelle il caractérise la trentaine de séquences de l’œuvre. Rarement on aura entendu aussi nettement les contrebasses dans la mystérieuse introduction, rarement la danse infernale aura été aussi éblouissante, rarement le solo de basson de la berceuse aura été aussi touchant, rarement le « Réveil de Kastcheï » aura été aussi effrayant… Quant au moment suspendu préludant au tableau final, il est joué dans un pianissimo d’une douceur ineffable par le cor solo, avant l’ étourdissante explosion de joie conclusive où la puissance de l’orchestre se révèle aussi stupéfiante que maîtrisée. En bis, l'orchestre et son chef rendront un bel hommage à la musique française avec un extrait du Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré.
Programme de tournée sans grande cohérence, relèveront quelques esprits chagrins ? Voire ! Ces deux œuvres affichent in fine plus de parentés qu’il n’y paraît : ce sont les premiers chefs-d’œuvre de deux jeunes compositeurs se frottant aux contraintes de deux formes très codifiées que sont la symphonie et le ballet. Mais plus encore : ce sont deux trajectoires dramaturgiques marquées par l’onirisme, avec la victoire des forces de vie sur les méandres de la psyché et sur les épreuves des contes initiatiques. Et ce concert, donné au lendemain des commémorations des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, a agi ici comme un écho, un baume et un véritable hymne à la vie.

