Plongée dans le noir, la salle des concerts de la Cité de la musique va s’illuminer au gré des interventions des chanteurs et musiciens de La Tempête. La configuration habituelle a été modulée afin d’accueillir le spectacle « Obsession » imaginé par le directeur musical de l'ensemble, Simon-Pierre Bestion : les spectateurs entourent l’espace scénique. L’esprit cyclique à l’œuvre dans les pièces du programme apparaît visuellement avec des estrades rondes et mobiles sur lesquelles se tiennent les musiciens. Trois d’entre elles sont entourées de rideaux tressés d’ampoules qui descendent des cintres au sol. La démarche ne s’arrête pas là : sur le costume noir des musiciens et des chanteurs ont été ajoutées des leds réagissant à la projection sonore.

Simon-Pierre Bestion © Hubert Caldaguès
Simon-Pierre Bestion
© Hubert Caldaguès

Un concert de La Tempête amène toujours l’auditeur à vivre une expérience originale. Celle de ce soir appelle un résultat en demi-teinte. Le programme musical relie quatre œuvres : le Miserere et des extraits du Triodion d’Arvo Pärt (qui a récemment fêté ses 90 ans), des extraits de 1000 Airplanes in the Roof de Philip Glass ainsi que les Trois Danses de l’organiste et compositeur Jehan Alain. Simon-Pierre Bestion a lui-même réalisé les orchestrations de Glass et d'Alain afin de garder l’effectif instrumental du Miserere (bois, cuivres, percussions, orgue, guitare et basse électriques).

En plus de révéler subtilement des connivences entre les œuvres et de permettre des transitions douces, ces transcriptions permettent aux 1000 Airplanes de gagner en densité et aux Trois Danses de captiver par leurs associations de timbres, tout en gardant des traces de l’écriture pour orgue. L’exécution instrumentale souffre quand même de problème de justesse et de mise en place, sûrement dus à la visibilité partielle du chef (malgré son gant éclairé de lumière). Si les moments de climax, notamment dans Glass, profitent d’un sentiment de liesse, les passages plus intimistes, eux, manquent d’assurance.

Les choristes de La Tempête sont en revanche en tous points irréprochables. Même quand ils sont dispersés aux coins de la scène, leur homogénéité ne vacille pas. Les Odes 1 et 3 du Triodion d’Arvo Pärt (« O Jesus the Son of God, Have Mercy upon Us », « O Holy Saint Nicholas, Pray to God for Us »), entièrement a cappella, sonnent avec une intensité particulière. L’aspect rituel et recueilli de l’œuvre – voix souvent en homorythmie, consonance, longues tenues – rappelle le Miserere entendu plus tôt. Au cœur de celui-ci, la scénographie avait amené les chanteurs à déplacer les estrades mobiles pour créer différents effets de spatialisation. Cette idée, tout à fait convaincante sur le papier, se heurte à une réalisation bancale, les modules devant passer sur des grilles d’aération, causant des bruits de roulettes que s'efforcent de limiter les régisseurs en déplaçant des tapis... On se concentrera plutôt sur les lumières envoûtantes dont l'intensité évolue en même temps que les leds portées par les musiciens et chanteurs : le jeu d’écho entre le ténor et la clarinette au début, le climax emblématique du style tintinnabuli (cloches), l’entrée de l’orgue entrecoupée du triangle sont autant de moments marquants de cette interprétation.

1000 Airplanes in the Roof, aussi rare au sein des programmations qu’au disque, relève de la prouesse pour les choristes à qui on demande de chanter par cœur, de danser et d’occuper l’espace en courant. Pour ce spectacle pensé comme un tout, avec une attention pour le rendu scénique et la transdisciplinarité, une association avec des danseurs professionnels aurait peut-être été plus judicieuse. Quoi qu’il en soit, la soprano Amélie Raison livre une superbe performance. Tout en souplesse, son timbre chaleureux et homogène au vibrato rapide enveloppe l’ensemble instrumental.

Les Trois Danses du compositeur Jehan Alain, mort à 29 ans lors de la Seconde Guerre mondiale, clôturent le spectacle avec faste. À la direction, Simon-Pierre Bestion en fait une belle lecture théâtrale. Avec leurs rythmiques irrégulières, leurs thèmes obstinés, leurs ambiances tour à tour mystiques et galvanisées, elles bouclent la boucle, riches de résonances symboliques avec le reste du programme.

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