Au lendemain d’un premier concert qui comportait une rareté – la Messe en ut – la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie est archi-comble en ce dimanche après-midi, pour la suite du marathon Beethoven de l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique avec Dinis Sousa, et la Neuvième Symphonie de Beethoven.

Dinis Sousa © Sim Canetty-Clarke
Dinis Sousa
© Sim Canetty-Clarke

Le menu est copieux. Trop ? On n’est pas sûr que ce soit une bonne idée de faire précéder la Neuvième d’une autre symphonie de Beethoven, fût-elle la plus classique de toutes, la Deuxième, créée en 1803. La filiation avec Haydn et Mozart est évidente, tant dans le schéma formel que dans l’exposé des thèmes et des développements dans chaque mouvement. Certes le scherzo a remplacé le menuet de la Première Symphonie et Beethoven fait usage, notamment dans le finale, des ruptures, des suspensions, qui seront désormais sa marque. On retrouve un orchestre en grande forme, un chef toujours soucieux de la lettre et de l’esprit de la partition, même si l’on perçoit à un degré moindre qu’hier l’originalité de sa démarche interprétative.

Pour la Neuvième qui va suivre, Dinis Sousa prend le parti de resituer l’œuvre exactement dans son époque. Il exclut toute monumentalité brucknérienne, au risque d’atténuer l’arrière-plan métaphysique d’une œuvre toute entière tendue vers l’ode finale « an die Freude » (à la joie) empruntée à Schiller.

Le premier mouvement est pris vraiment comme un Allegro ma non tanto. Après le mystère du sombre ré mineur initial, c'est une effervescence joyeuse qui s’empare des pupitres, et va culminer dans de prodigieux climax ponctués par les timbales de Robert Kendell. S'il y a une modernité dans l'écriture de ce mouvement, des audaces harmoniques inouïes, elles éclatent d'autant mieux qu'elles ne subissent pas le poids d'un excès d'intentions de la part du chef.

Le second mouvement (Molto vivace) ressemble souvent à un concours de vitesse doublé d’un concerto pour timbales. Le chef adopte un tempo giusto plutôt bonhomme, qui conduit tout naturellement au premier énoncé du fameux thème de l’ode « à la joie ». Dans le troisième mouvement (Adagio molto e cantabile), le chef adopte une conduite fluide, respectueuse des alternances de mesures à quatre et trois temps – jamais on n’a autant ressenti qu'ici le caractère viennois, presque dansant, d’un mouvement tout entier écrit en majeur.

C’est évidemment le dernier mouvement que toute la salle attend impatiemment. Le chœur et les quatre solistes sont entrés sur scène dès le début de la symphonie, comme pour démontrer que ce finale procède des trois mouvements précédents et n’est pas une construction à part.

Dinis Sousa ne semble pas impressionné par le challenge qui l'attend. Le geste, l'organisation du discours vont paraitre si naturels, si évidents. Dès le récitatif chaotique qui convoque les accords initiaux de la symphonie, puis les ressauts du scherzo et enfin les prémices de l'ode à la joie, le chef prend un plaisir manifeste à exalter l'audace de l'écriture beethovénienne. L'énoncé du thème à l'unisson par les violoncelles et les contrebasses d'une justesse phénoménale est un pur moment de grâce avant le déploiement des forces vocales si attendues.

Le jeune William Thomas se joue des périls de son air de basse, bientôt rejoint par le soprano acidulé de Lucy Crowe qui se sort brillamment des embûches que Beethoven lui réserve, tout comme le ténor en grande et belle voix d'Allan Clayton. Mais c’est le Monteverdi Choir qui fait frissonner la salle en entonnant ce qui est devenu l’hymne européen : à la perfection de l'intonation – pas toujours évidente dans ces passages où les voix sont soumises à forte tension – s’ajoute une jubilation visible. Le chef ne cherche pas à retenir l'enthousiasme général, quitte à hâter un peu l'allure. Il gomme toute trivialité dans la fanfare militaire alla turca qui surprend toujours au milieu de la proclamation hymnique de la fraternité universelle, et plus encore lorsque Beethoven conclut sa symphonie dans une débauche de percussions.

Encore un mot de la traduction littérale erronée de l'ode à la joie (et non « hymne à la joie ») qu'on lit trop souvent : « Les hommes deviennent frères ». Tout dans le texte de Schiller est exhortation, vœu à exaucer. « Alle Menschen werden Brüder » n'est pas un constat, ni une affirmation mais un appel, un souhait fervent : « Que tous les hommes deviennent frères » !

*****