De la Moldau aux Balkans ? Ce titre plat qui défie l’orientation (le courant naturel de la Moldau entraînant vers l'Europe du Nord) est vite oublié. Au fil de la soirée à la Maison symphonique, on applaudit à part soi les choix de l’Orchestre symphonique de Montréal : des esthétiques variées — le réalisme magnifié de Ringelspiel, le sentimentalisme de la Romance pour violon et orchestre de Dvořák, le faste pictural de Má Vlast de Smetana — et des artistes de première qualité — le violoniste Andrew Wan, plein de souplesse, et la cheffe Xian Zhang, d’une rare vigueur.

Xian Zhang © Antoine Saito
Xian Zhang
© Antoine Saito

Ringelspiel d’Ana Sokolović (2013) mêle à l’enfance le vacarme des machines. En cinq courtes parties, la compositrice tire les traits d’un carrousel, de sa mise en marche à son bris. Toutes les ressources orchestrales sont engagées, dont plusieurs sont insolites (les violoncellistes qui tapent à main nue la touche de leur instrument), et un éclatant mélange de couleurs est mis au point, à renfort de glissandos, de dissonances et de percussions. La manière est efficace. Le public est comme forcé dans ce manège aux proportions écrasantes et entraîné dans son tourbillon. La cheffe y est pour beaucoup, qui se dépense sans compter, évoluant avec l’engrenage. Zhang tourne, s’enraye et se rompt avec lui, en prodiguant des gestes brusques et des mimiques cassées. Elle assemble donc les morceaux de la machine et la fait fonctionner, mais elle fait plus : elle devient ladite machine.

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Andrew Wan, Xian Zhang et l'Orchestre symphonique de Montréal
© Antoine Saito

Avec un tempo qui fait valoir les détails mais sans les accuser, les cordes et les vents installent fermement la Romance de Dvořák. Quand Andrew Wan fait son entrée, il tire sa phrase doucement ; sa substance est celle-même de l’orchestre. Mais bientôt, il l’élève et la fait briller au-dessus. Au moment voulu, il la ramène à la hauteur de l’ensemble. La suite de l’œuvre est à l’avenant. Le violoniste excelle par ailleurs dans l’alternance des tensions et des relâchements. Tout dénote un grand contrôle. En quelques endroits seulement, ses propositions se perdent sous les bois. 

La seconde partie du concert débute et l'on voit très nettement les deux sources de La Moldau, figurées par la flûte et la clarinette, sous la baguette de Zhang. Le débit est vif, entraînant, les pizzicati jaillissent avec vraisemblance, les motifs affluent, cavalent et se mêlent. Ce n’est pas une croisière tranquille où l’on prendrait à loisir des photos de paysages ; c’est un torrent joyeux qui nous emporte et nous charrie de tableaux en tableaux. On note une chasse à courre large, avec des cuivres scintillants, et une très belle polka, pleine de nuances fines. Un regret : le passage des ondines et du clair de lune, en plaçant sur le même pallier, assez fort, la ligne des violons et les évolutions aux bois, empêche le mystère de fleurir.

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L'OSM à la Maison symphonique
© Antoine Saito

Dans le poème Šárka consacré à la guerrière éponyme, c’est le feu qui domine, un thème que l’orchestre restitue au moyen de tuttis explosifs, d’attaques subites et de trémolos grouillants. Tout s’embrase et tout rutile avec Zhang, jusqu’au petit triangle même qui retentit à chaque occurrence avec la même vigueur, la même droiture, le même effet — ce qui fait penser que ce triangle est un peu trop carré. À noter dans la furie générale, un passage admirable où la clarinette s’élève sur un fond de trémolos aux cordes : elle est libre, caressante, enjôleuse. Dans Blaník, ce qui s’entame comme une petite marche militaire prend peu à peu des proportions triomphales. Alors, Zhang lâche la bride aux musiciens. Sur une base de cuivres très solide, les violons jettent haut leurs lignes, le tutti éclate. La timbale, en une mesure, passe d’un bourdonnement au tonnerre. Enfin, les derniers accords surviennent. Les applaudissements crépitent. La cheffe s’essuie le front. Elle a chaud. Nous aussi.

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