Présenté pour la première fois en 2024 à La Haye, Figures in Extinction est le fruit d'un travail entre la chorégraphe canadienne Crystal Pite et le metteur en scène britannique Simon McBurney, directeur du Théâtre de Complicité. Le prodigieux Nederlands Dans Theater dirigé par Emily Molnar est la compagnie idéale pour interpréter ce projet profond et virtuose. En coréalisation avec le Théâtre de Chaillot, le Théâtre de la Ville fait ce soir salle comble pour accueillir le triptyque.

<i>Figures in Extinction</i> &copy; Rahi Rezvani
Figures in Extinction
© Rahi Rezvani

Le spectacle, très bien rythmé, est construit en trois tableaux qui ont chacun leur propre atmosphère. Dans « The List », les danseurs représentent les animaux disparus ou encore les phénomènes naturels qui ne se produisent plus. La malléabilité du corps des danseurs est impressionnante et les idées de scénographie et de mise en scène sont particulièrement frappantes. Le premier danseur à exécuter un solo illustre le bouquetin des Pyrénées. Il entre en scène avec un bois gigantesque à chaque bras, représentant toute la majesté de l'animal et son aspect gracile.

Loin d'enchaîner les portraits de manière succincte ou superficielle, ce premier tableau évoque déjà avec profondeur le sujet du climat, mettant notamment en avant un danseur représentant un climatosceptique. On apprécie la pertinence de la chorégraphie de groupe : les frétillements de main dans un rayon de lumière qui font revivre le poisson-main ou encore la sublime scène de cinq danseurs qui représentent une orchidée. La chorégraphie subtile et poétique utilise le corps humain jusqu'au bout des ongles. Les danseurs du NDT 1 ont saisi toute la sensibilité des animaux ici honorés tout en déployant beaucoup de puissance.

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Figures in Extinction
© Rahi Rezvani

Changement de décor, le deuxième tableau – « But then you come to the humans » – nous projette dans une salle où, assis sur leurs chaises alignées, les danseurs en costumes semblent abrutis par le monde moderne. Le public est comme au zoo et observe sa propre espèce. Obnubilés par des téléphones portables qui happent leurs visages, les danseurs sont assaillis par les publicités, les jeux, les appels, les SMS.

La saturation sonore symbolise le monde moderne et crée un contraste avec les animaux et la nature de la première partie. Un long monologue décrit le cerveau humain et ce qui le différencie de l'animal. La danse est virtuose et l'énergie des danseurs prodigieuse. Crystal Pite joue avec les lignes, avec les courses et l'on retrouve ce qui fait la marque de la chorégraphe canadienne depuis la révélation de son Seasons' Canon, créé en 2016 à l'Opéra de Paris : des tableaux de groupes avec des effets visuels forts issus de la géométrie et de l'effet domino d'un même mouvement effectué en décalé par le groupe. Ce tableau virevoltant souligne toujours plus l'absurdité du monde moderne, à contrecourant d'une écologie et d'un respect de la nature.

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Figures in Extinction
© Rahi Rezvani

Après un second entracte, place au « Requiem ». Les danseurs donnent le nom de leurs proches décédés, confient ce qui les lient à leurs ancêtres, du Suriname à la Colombie. Les noms enregistrés résonnent à plusieurs reprises comme une litanie. Ce tableau interroge véritablement le lien entre la vie et la mort. Les mouvements tantôt fluides ou saccadés sont généreux et harmonieux. C'est émouvant, percutant, sans jamais être glauque.

Pourtant, Crystal Pite et Simon McBurney ne tournent pas autour du pot : un lit médicalisé survient au centre de la scène et un corps inerte y est couché. Plusieurs situations comiques sont mises en scène à partir de la mort : des soignants qui essaient de changer les draps du lit malgré le corps inerte en essayant de synchroniser le déplacement du drap. Ou encore, aussi décalée qu'insolite, une chanson dansée à la façon d'une comédie musicale pour décrire les cinq étapes de la décomposition du corps humain avec tous les détails.

Le but du spectacle n'est pas de créer du pathos mais bien de questionner l'évolution de l'humanité et, à une autre échelle, les étapes de nos vies humaines. Cette réussite appelle d'ailleurs un constat optimiste : grâce à Crystal Pite et Simon McBurney, aucun risque que le spectacle vivant sombre en voie d'extinction.

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