Créé au printemps 2024 au KVS, le Théâtre flamand de Bruxelles, Ali a à présent les honneurs de la bien plus vaste salle de La Monnaie. Et ce n’est que justice. Cet opéra d’aujourd’hui remporte un succès – salle comble pour les six représentations programmées – qui démontre, si besoin était, que le genre est encore bien vivant et peut aborder des sujets contemporains avec intelligence et sensibilité.

<i>Ali</i> à La Monnaie &copy; Pieter Claes
Ali à La Monnaie
© Pieter Claes

Le livret, dû au dramaturge catalan Ricard Soler Mallol – qui signe aussi la mise en scène – et au héros du récit Ali Abdi Omar lui-même, raconte l’odyssée d’un jeune garçon qui, sur les instances de sa mère, quitte la Somalie à douze ans pour échapper au groupe islamiste Al-Shabaab. Son périple le mène d’abord via Djibouti à Nairobi où il retrouve quatre amis de son village. Arrivés en Libye via le Soudan, les cinq amis se retrouvent parmi des centaines d’autres candidats à l’exil systématiquement maltraités par des trafiquants qui les obligent à téléphoner à leur famille trois fois pour jour pour obtenir une rançon. Pour Ali, cela prendra près d’un an. 

Après avoir traversé le suffocant désert libyen entassés à cinquante dans un pick-up, les migrants finissent par prendre la mer à plus d’une centaine dans une fragile embarcation. Heureusement, les zodiacs d’une ONG les repèrent et les ramènent sur un bateau qui les conduit à Malte. Là, Ali rencontre Abdi Aziz, un compatriote issu du même village, qui lui fournira un passeport et un billet d’avion pour Bruxelles où il arrivera après deux ans d’errance. La dernière scène nous montre Ali prié de raconter son histoires à un fonctionnaire de l’Office des étrangers. Rideau.

Loading image...
Ali à La Monnaie
© Pieter Claes

L’œuvre captive par son ton sincère. L’histoire d’Ali et des siens est racontée de manière sobre, dépouillée même, ne laissant aucune place à la sensiblerie et aux faciles bons sentiments. La mise en scène toujours claire de Ricard Soler Mallol utilise au mieux un décor très simple, une espèce de grande boîte noire au milieu de la scène dont les ouvertures permettent aux protagonistes d’entrer et de sortir quand ils n’occupent pas le devant de la scène.

C’est sur cette structure que prend place l’Orchestre de chambre de La Monnaie regroupant ici treize musiciens – dont trois percussionnistes fortement sollicités – sous la direction aussi fine qu’efficace du chef Michiel Delanghe. La partition a fait l'objet d'une collaboration fructueuse : la musique a été composée par le percussionniste et compositeur de musique électronique américain Grey Filastine, avec l'assistance de son compatriote Brent Arnold (pour la transcription pour un orchestre conventionnel) et du musicien franco-marocain Walid Ben Salim (pour ce qui concerne la musique arabe et les passages du texte dans cette langue).

Très réussie sur le plan vocal et chantée principalement en français, mais aussi en somali et en arabe, la partition sert parfaitement le propos de l’œuvre. On y trouve généralement une écriture vocale syllabique simple et claire, mais aussi de fins passages orientalisants. Quant à la partie d’orchestre, elle présente un patchwork assez réussi de musique minimaliste-répétitive, de recours aux modes de la musique arabe, de même qu’une inattendue référence au music-hall dans le quatrième acte où le rôle parfois ambigu de Frontex – cette agence censée protéger les frontières extérieures de l’Union européenne mais qui s’occupe aussi beaucoup de décourager l’émigration – est tourné en assez cruelle dérision.

Loading image...
Ali à La Monnaie
© Pieter Claes

Si jusqu’à treize personnes occupent la scène, seuls trois des rôles sont chantés. Ali est incarné par le très prometteur contre-ténor sud-africain Sanele Mwelase à la voix claire et douce, l’excellente mezzo Raphaële Green prête la chaleur de son timbre chaud et de sa personnalité à l’émouvant rôle de la Mère, ainsi qu'à ceux d’une femme et de la meneuse de revue du tableau Frontex. Enfin, l’excellent baryton Michael Wilmering incarne, entre autres rôles, aussi bien le passeur Mohammed et l’immonde trafiquant d’êtres humains Walid que celui d'Abdi Aziz qui arrangera le voyage d’Ali de Malte vers la Belgique. Pour la petite histoire, Ali vit aujourd’hui à Bruxelles.

****1