Après un premier volet en demi-teinte vendredi dernier, John Eliot Gardiner retrouvait ce mercredi l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le pianiste Alexandre Kantorow pour clore un double diptyque : en deux concerts, les artistes associaient à chaque concerto de Brahms une symphonie de Dvořák. L’idée, aussi séduisante qu’intéressante, avait été desservie par des choix stylistiques contestables lors de la première soirée. La différence de caractère entre les deux concertos et les deux symphonies choisies pour ce cycle laissait toutefois bon espoir d’un dénouement réussi.
Le début du concerto pour piano – le Deuxième ce soir – est cette fois-ci enthousiasmant. Au solo de cor d’Alexandre Collard dans le lointain répond le toucher tout en poésie de Kantorow, qui prolonge le mystère avant de se lancer dans une cadence inaugurale magistrale, distillant au sein du grand geste brahmsien une nervosité bienvenue qui fait avancer le discours. Tout au long de l’œuvre, on entendra le travail de recherche du pianiste français, entre gammes effleurées, octaves puissantes et attention minutieuse au contrepoint : les ingrédients idéals pour restituer les vagues de cette musique passionnée.
Parfois Kantorow va presque trop loin dans ses expérimentations, en choisissant des tempos franchement rapides qui entachent la compréhension distincte de la polyphonie et engendrent des accords plaqués en fin de trait à la limite du brutal. On lui pardonne cependant volontiers car l’artiste propose une véritable interprétation, qui accroche l’auditeur de bout en bout par une certaine imprévisibilité qui ne dérive jamais du côté du maniérisme. On lui pardonne parce que dès qu’il prend le temps de dire chaque note, on peut chavirer à tout moment, comme lors d’un troisième mouvement d’une sensibilité poignante.
On lui pardonne enfin d’autant plus que, étant placé dans son dos, on ne peut pas profiter de tout son art. C’est le piège des salles dites « en vignoble » : le couvercle de l’instrument envoyant le son vers les sièges face à la scène, l’arrière-scène et les zones adjacentes ne peuvent qu’imaginer la richesse harmonique de l’interprète. Ainsi certains passages sont à peine audibles, à l’image des doubles croches à la main gauche de la première cadence. On voit bien les marteaux du piano se lever et un jeu de pédale discret de la part du soliste, mais on n’entend qu’un grondement grave indistinct.
Gardiner ménage un accompagnement plus convaincant que la semaine dernière, malgré une tendance à subir les très raisonnables variations de tempo de Kantorow. Après le solo de cor inaugural, on admire le solo de violoncelle de Nadine Pierre dans le troisième mouvement, très propre (aucun effet de glissando !), irradiant d’un lyrisme doux et vivant, et intelligemment varié lors de sa deuxième occurrence. On regrette en revanche que la fin de ce moment de grâce soit recouvert par un hautbois hors de propos qui ne se contente pas de colorer subtilement le dialogue entre le violoncelle et le piano. Le quatrième mouvement fera bien vite oublier ce désagrément, avec son caractère espiègle souligné par le jeu virtuose et sautillant du pianiste.

Au retour de l’entracte cependant, c’est plus qu'un problème d’équilibre qui attend le public de l’Auditorium de Radio France. Dirigeant toute la Symphonie n° 7 de Dvořák avec un même geste dont il ne fait varier que l’amplitude, Gardiner va plomber une œuvre pourtant facile d’écoute. L'aller-retour de haut en bas de la baguette, à la précision parfois douteuse, n’aide pas les musiciens à bien des égards, en premier lieu en termes de mise en place. La synchronicité des pupitres de violons 1 et 2, qui se font face, est régulièrement déréglée.
Cette monotonie de la battue est par ailleurs un assassinat en règle de la musicalité. Les tuttis forte deviennent des masses sonores informes, où chaque pupitre joue fort en marquant chaque temps. On ne reconnait pas le son du Philhar', si généreux lors que Mikko Franck le façonne. On ne peut pas en vouloir à l’orchestre : c’est exactement ce que dessine la baguette de Gardiner, qui jamais ne suggère la moindre phrase. Les marches harmoniques sonnent invariablement de manière pompière, sans nécessité ni narration, et l’élan lyrique attendu dans le deuxième mouvement n’aura jamais pointé le bout de son nez. Au milieu de ce chaos, le pupitre de cor aura fait sonner quelques notes suggérant les légendes slaves : motif d’espoir pour le public dijonnais qui entendra le même programme par les mêmes interprètes.