Au cœur de la Cité de la musique, l’Ensemble intercontemporain dévoile les sons de la ville à travers des œuvres aux esthétiques variées pour le concert d’ouverture de sa saison 2025/26. On reconnaît là la pâte de Pierre Bleuse, directeur artistique et chef de l’ensemble, qui crée des programmes évocateurs tout en faisant subtilement affleurer la cohérence des pièces choisies.

<i>City Life</i> à la Cité de la musique &copy; Quentin Chevrier
City Life à la Cité de la musique
© Quentin Chevrier

Légendes urbaines (2006) de Tristan Murail et City Life (1995) de Steve Reich évoquent directement New York tandis que Graffiti (2012) d’Unsuk Chin s’attache à mettre en musique la pratique urbaine du street art, mais chacune de ces œuvres fait appel à un imaginaire commun. C’est donc à une balade qu’invite ce premier concert de l’EIC. Les « Promenades » au cœur du métro new yorkais de Légendes urbaines marquent par leur mélange bruiteux : mystérieux appels de cuivres, vacarme percussif des rails, aigus stridents des cordes. Chez Reich, les sons de la ville ne sont pas recréés instrumentalement mais bien déclenchés sur synthétiseur par deux pianistes. Le charme de City Life est là, dans ces successions et superpositions de bruits de klaxons, de marteau-piqueur, de voix enregistrées sur le vif, mêlées à la rythmique haletante des instruments acoustiques. La compositrice sud-coréenne, elle, explore les couches des Graffitis comme autant de tableaux sonores à travers lesquels se dessine l’atmosphère urbaine : cloches, fourmillement des habitants, nuit agitée…

On ne peut s’empêcher de penser qu’un tel programme aurait gagné une autre dimension en étant interprété dans un lieu plus proche de ce que décrit la musique, une ancienne gare où les graffitis font florès ou une salle permettant d’inviter un ou une street artiste. À défaut, la pièce Légendes urbaines de Murail a été spatialisée : sur les balcons, deux duos de trompettes et trombones se font face et dialoguent en écho. Au cor anglais et au hautbois, Philippe Grauvogel, placé sur le balcon à jardin au-dessus de la scène, auréole l’ensemble de courtes mélodies solistes. L’utilisation que Murail fait des quarts de ton amène une tension qui concourt à créer l’impression du fog new yorkais. En douze mouvements et trente minutes de musique, le compositeur passe d’un décor à l’autre en captivant l’auditeur grâce à des atmosphères lancinantes. Avec la complicité de l’EIC, Pierre Bleuse les magnifie en harmonisant chaque contraste et chaque moment de silence. Ainsi, la difficulté de cette partition n’apparaît pas, tant la précision de Bleuse appelle la fluidité.

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Légendes urbaines à la Cité de la musique
© Quentin Chevrier

La même qualité d’exécution et l’enchanteuse orchestration d’Unsuk Chin ne parviennent pas à immerger totalement l’auditeur dans Graffiti. Là où Murail captait l’attention par des gestes musicaux puissants – comme cette magnifique pluie d’étoiles portée par de délicats scintillements dans l’aigu des instruments de l’ensemble –, la compositrice coréenne compose une mosaïque qui manque parfois de liant. En dehors du souffle dans les instruments à vent, les éléments musicaux restent assez mystérieux par rapport au projet du titre. Au demeurant, les couleurs orchestrales ont un charme particulier. Les tam-tams et les gongs nimbent le mouvement « Notturno urbano » de leur superbe résonance tandis qu’un humour ligetien s’empare de la « Passacaglia » finale.

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Pierre Bleuse dirige l'EIC lors du concert d'ouverture de saison
© Anne-Elise Grosbois

City Life de Steve Reich occupe la seconde partie du concert. Après Murail et Chin, le prisme change et les sons de la ville se dévoilent sous un autre jour. L’espace sonore, toujours occupé, évoque la vitalité de New York. Après les grands aplats d’accords, le « check it out » d’un marchand de rue retentit et la machine se lance. Les deux vibraphonistes et les deux pianistes se montrent maîtres du fameux procédé de déphasage de Steve Reich. Bleuse et l’EIC portent l’œuvre à son paroxysme, tant dans la théâtralité de « Pile driver/alarms » (Coups de marteau/alarmes) que dans l’inquiétude palpable de « Heartbeats/boats & buoys » (Battements de cœur/balises et bateaux). Pour chaque mouvement, le chef s’attache à révéler les détails de la partition tandis que les instrumentistes se fondent dans les samples et que les samples se fondent dans l’ensemble. La ville vit, sa musique hypnotise. Ce soir, la Cité a retenu son souffle alors que la « Heavy smoke » (Fumée épaisse) l'enveloppait.

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