Klaus Mäkelä nous y a habitués : son programme de rentrée avec l'Orchestre de Paris est tout sauf ordinaire. Sur le papier, il est même très séduisant : sur une thématique américaine, il fait se côtoyer deux créations françaises (de Guillaume Connesson et Joan Tower) et deux pièces d'orchestre spectaculaires (Un Américain à Paris et Amériques) de nature à combler ce nouveau public des Prem's qu'on a découvert la semaine dernière.

Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris devant le public des Prem's © Denis Allard
Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris devant le public des Prem's
© Denis Allard

Mais il arrive, comme ce soir, que la séduction n'opère pas, ou pas complètement. Écrite après le désastre de Pearl Harbour en 1941, la Fanfare for the Common Man de Copland n'a guère d'intérêt aujourd'hui si ce n'est de démontrer le brillant et la tenue des cuivres de l'Orchestre de Paris. En début de deuxième partie, comme un rappel ou un clin d'œil à Copland, on entendra une version instrumentalement plus fournie mais tout aussi anodine de son pendant féminin – la Fanfare for the Uncommon Woman n° 1 de la compositrice américaine Joan Tower.

À ceux qui se seraient étonnés de voir le nom d'un compositeur français, Guillaume Connesson, au milieu d'un programme ouvertement américain, les Danses concertantes (Deuxième Concerto pour flûte et orchestre) dont c'est la création française vont prouver que Klaus Mäkelä a eu raison de l'insérer entre Copland et Gershwin. On sait que l'actuel directeur musical du St. Louis Symphony Orchestra, le Français Stéphane Denève, a beaucoup œuvré pour diffuser la musique de Connesson aux États-Unis et en Europe, d'où un évident tropisme américain dans ces Danses, plus consonantes si possible encore que concertantes. On est quelque part entre les charmes surannés de Jean Françaix (en voilà un qui plaisait beaucoup aux riches mécènes américaines), le discret chaloupé des danseurs de tango, quelques audaces rythmiques à la Bernstein, et dans la veine easy listening d'un Walter Piston (The Incredible Flutist). C'est charmant, c'est un peu long pour aussi peu de substance, d'autant qu'on a du mal, du premier balcon où on est placé, à entendre le soliste Vincent Lucas, qu'on a connu plus assertif.

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Vincent Lucas et Klaus Mäkelä
© Denis Allard

Mais on est impatient d'entendre le clou de cette première partie : Un Américain à Paris. Dès les premières mesures qui évoquent explicitement une promenade le nez au vent sur les Champs-Élysées (celle qu'a faite le compositeur lors de sa venue à Paris en 1928), le malentendu s'installe : Klaus Mäkelä empoigne la partition et ses musiciens pour ne plus les lâcher, dans un rythme haletant, serré, tendu, qui laisse bien peu de place à la nonchalance ou à l'indolence. On se demande si le jeune chef a regardé le chef-d'œuvre de Minnelli, le film éponyme de 1951, qui est très fidèle à la découpe du poème symphonique de Gershwin. S'il y a bien une musique descriptive, explicite, c'est celle-là : la promenade du touriste américain sur les Champs-Élysées est entrecoupée d'une querelle entre taxis (avec leurs fameux klaxons), avant une flânerie devant des music-halls et une pause à la terrasse d'un café du Quartier Latin.

La séquence suivante, un blues sur un solo de trompette bouchée, doit nous transporter dans un parc (le Jardin du Luxembourg ?) où l'Américain a la nostalgie du pays natal. Ce même touriste rencontre enfin un compatriote avec lequel il échange ses impressions : Gershwin fait alors la reprise de tous les thèmes précédents, comme un condensé d'impressions heureuses de Paris. Las, il est bien difficile ce soir de suivre cet argument face à l'absence de flânerie, de pause, de nostalgie, et pour tout dire de charme dans la direction de Klaus Mäkelä. Le brillant orchestral ne peut pas être une fin en soi !

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Klaus Mäkelä pendant les Prem's
© Denis Allard

En seconde partie, Amériques de Varèse nous décevra pour d'autres raisons. Dans l'acoustique généreuse de la grande salle Pierre Boulez, Mäkelä ne semble pas se soucier de limiter son effectif de près de 150 musiciens, notamment dans les longs, très longs, ostinatos de cuivres dans la dernière partie de l'œuvre, ce qui produit une saturation tout simplement insupportable. Pourtant le chef ménage de beaux effets de transparence, dans les quelques passages méditatifs (au tout début notamment), mais il ne peut rien contre les redites et les surcharges d'une pièce qu'il est convenu de révérer comme « fondatrice ». Avouons qu'à la différence des œuvres ultérieures de Varèse, on a toujours trouvé ces Amériques plus brouillonnes et bruyantes qu'inspirées. Ce n'est pas ce soir qu'on va changer d'avis.

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