Cette rentrée à la Philharmonie commence avec un véritable choc : dans les coursives, une nouvelle moquette d’un noir ébène recouvre jusqu’aux murs blancs – ils attendent d’être recouverts de panneaux boisés. Décidément, cette salle n’est jamais terminée ! Le traumatisme prend fin une fois installé dans la salle, qui elle n’a pas bougé, où l’on retrouve les têtes connues des musiciens de l’Orchestre de Paris et leur directeur musical Klaus Mäkelä.

Le Chœur et l'Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä © Gil Lefauconnier
Le Chœur et l'Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä
© Gil Lefauconnier

Pour ce concert d’ouverture de saison, les interprètes nous proposent un programme à contre-courant d’une philosophie répandue, selon laquelle on s’élève en quittant la vie quotidienne et ses épisodes passagers pour se tourner vers la sérénité de la méditation. Chaque partie du concert commence par une œuvre de Pēteris Vasks qui vise à atteindre cet état, mais pour retomber à chaque fois dans un monde où s’expriment toutes les passions : le Concerto pour violon de Tchaïkovski et la Symphonie n° « Eroica » de Beethoven.

Les œuvres de Vasks marquent également la rentrée du Chœur de l’Orchestre de Paris, préparé par Richard Wilberforce. L’ensemble amateur impressionne dans le Laudate Dominum, avec un son doux et transparent aux belles couleurs vitrail. Cette page alterne des passages d’orchestre seul en forme de lamentation désespérée et des passages de chœur a cappella baignés de tranquillité divine. Les deux ensembles finissent par se rejoindre dans une modulation libératrice depuis le mineur étouffant du début vers un majeur rempli d’allégresse. L’orchestre restitue un son dense d’un bloc, flux magmatique presque confus parfois mais façonnant des ambiances probantes. En début de seconde partie, le Pater Noster du compositeur letton donnera complètement la parole au chœur a cappella. Le Chœur de l’Orchestre de Paris y montre quelques approximations, plutôt dans le ton d’une prière suppliante où l’émotion déborde.

Avec quatre programmes au cours de la saison (dont trois avec l’Orchestre de Paris), Lisa Batiashvili n’est pas officiellement artiste en résidence à la Philharmonie, mais c’est tout comme. Son interprétation du Concerto de Tchaïkovski ne peut qu’encourager à revenir l’écouter. Dès les premières notes, la technique de la violoniste impressionne : son son affirmé remplit toute la salle à la perfection, quelle que soit la nuance, quelle que soit la corde, quelle que soit l’intention. On est presque assommé par cette intensité !

Encore davantage au service de la musique, les deux derniers mouvements emportent l’auditeur malgré lui. La gestion du vibrato et des notes blanches de la Canzonetta est d’un goût exquis tandis que le finale est une démonstration de virtuosité. Les graves de la corde de sol sonnent de manière extraordinaire et le violon devient presque sauvage dans les arpèges qui concluent l’œuvre. L’artiste prolonge cette transe tout naturellement avec une danse traditionnelle géorgienne, l’occasion de ciseler des trémolos chirurgicaux, l’archet toujours alerte après un concerto exigeant.

L’Orchestre de Paris accompagne la soliste en exacerbant les contrastes, à l’image d’une introduction très réussie entre phrase mélodique en demi-teinte des violons et ostinato rythmique mordant des cordes graves. À l’unisson de la soliste sans jamais la couvrir, la formation souffre cependant parfois de quelques trous d’air quand le violon se repose. Ainsi la fin du deuxième mouvement sonne presque platement sans le phrasé éloquent de Lisa Batiashvili. Un défaut vite oublié lors de la symphonie de Beethoven en clôture du concert : la phalange parisienne en proposera une interprétation mémorable.

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Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris
© Gil Lefauconnier

Biberonné au Stravinsky depuis deux saisons par un directeur musical très énergique, l’Orchestre de Paris a acquis une formidable palette dynamique. On en apprécie ce soir toutes les aspérités, depuis les accords assénés sous l’impulsion d’un Mäkelä qui frappe le sol de coups de lasso comme s’il dirigeait Le Sacre du printemps, jusqu’aux lignes mélodiques subtilement distillées, à l’image du solo de hautbois d’Alexandre Gattet dans la marche funèbre : son piano timbré émerge avec un dosage parfait tout en faisant respirer le thème.

Le style Mäkelä a déjà pu favoriser un éparpillement de l’orchestre : il n’en sera rien ce soir. Grâces en soient rendues à Andrea Obiso, violon solo rassemblant l’orchestre dans une homogénéité rare. Sous son impulsion, cette Eroica est un retour à l’essence de la musique symphonique : tout part et revient vers des pupitres de cordes en majesté dont le flux sonore ensorcelant est illuminé des interventions intelligentes des vents. Déjà invité à plusieurs reprises la saison dernière à ce poste de Konzertmeister orphelin d'un titulaire depuis trop longtemps, Andrea Obiso assurera douze programmes cette saison. Espérons que son nom soit enfin marqué dans l’effectif permanent de l’orchestre en septembre 2025.

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