Visiteur régulier et invariablement bienvenu à Bozar, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam se produisait pour la première fois à Bruxelles sous la baguette de Klaus Mäkelä qui porte le titre de partenaire artistique de l'ensemble depuis cette saison-ci et en prendra officiellement les rênes en 2027.

C’est un chatoyant programme post-romantique que proposaient la prestigieuse formation amstellodamoise et le surdoué chef finlandais dans un programme qui s’ouvrait par le très intéressant poème symphonique Aino (2022) de Jimmy López Bellido, bel exemple de la façon dont les cartes de la musique d’aujourd’hui ont été rebattues par la mondialisation. En effet, le compositeur péruvien a fait une partie de ses études à l’Académie Sibelius d’Helsinki. C’est d’ailleurs Klaus Mäkelä qui lui suggéra de s’inspirer de l’histoire d’Aino, cette héroïne du Kalevala qui choisira de se noyer plutôt que d’épouser le mage Väinämöinen à qui son propre frère l’avait promise. Il y a quelque chose de néo-sibélien dans cet envoûtant poème symphonique brillamment orchestré qui sait se montrer tour à tour rude et raffiné, épique et intime, pour décrire les tourments de la malheureuse héroïne au sein d’une nature menaçante et glacée. Certes, il n’y a rien de radical ou de novateur dans le langage de López Bellido, mais on aurait vraiment tort de bouder son plaisir, d’autant que l’œuvre est magistralement dirigée par son dédicataire.
Quelle bonne idée d’avoir programmé le trop rare Schelomo, cette si belle Rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre d’un Ernest Bloch encore trop négligé de nos jours. Et quelle non moins bonne idée d’avoir confié la partie soliste à la fabuleuse Sol Gabetta ! C’est une interprétation proprement magique qu’offre la violoncelliste argentine de cet exemple majeur de la production d’inspiration juive du grand compositeur helvéto-américain. Comment ne pas admirer le son superbe, le vibrato parfaitement contrôlé, la liberté de phrasé d’une interprète jamais contrainte par la barre de mesure ? Et comment ne pas admirer cette superbe musique (où Bloch s’inspira de la figure du roi Salomon) rendue avec une réelle profondeur et à mille lieues d’un orientalisme de pacotille? L’intensité de la prestation de la soliste et le parfait accompagnement dont elle bénéficie de la part du chef comme de l’orchestre laissent le public comme ébaubi après la fin de l’œuvre qui renvoie au pessimisme de l’Ecclésiaste quand il nous dit que « tout est vanité et pâture de vent ». Et quel meilleur bis aurait-on pu choisir que cette belle et émouvante « Prière », tirée de la suite De la vie juive toujours de Bloch et interprétée avec autant de grâce que d’intériorité par Sol Gabetta, accompagnée avec infiniment de délicatesse par Mäkelä et les cordes du Concertgebouw ?
La Symphonie alpestre n’est pas le plus grand des poèmes symphoniques de Richard Strauss, mais il est impossible de ne pas être ébloui par cette stupéfiante démonstration de l’art d’écrire pour l’orchestre. On a certes critiqué cette symphonie qui retrace la journée d’un groupe de promeneurs dans les Alpes bavaroises si chères au compositeur comme étant une espèce de Baedeker montagnard, mais comment faire la fine bouche lorsqu’il nous est donné d’effectuer cette spectaculaire randonnée en compagnie d’un des grands ensembles straussiens de la planète et sous la conduite d’un guide sous l’élégante conduite duquel on admire le grandiose paysage sans risquer de se perdre en chemin? Et Klaus Mäkelä est non seulement ce guide à la tranquille assurance qui ne s’essouffle à aucun moment, mais il traite ce qui pourrait n’être qu’une démonstration gratuite de picturalisme orchestral avec un soin extrême, déchaînant aussi bien un orage apocalyptique que trouvant dans la partition d’inattendus moments de véritable profondeur.