Le 16 décembre 2022, Markus Poschner remplaçait in extremis Mikko Frank à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France pour un programme Rachmaninov-Strauss. Comme il s'était montré très convaincant dans ce rôle de sauveur, on attendait avec curiosité de le revoir au pupitre pour un concert planifié dans les règles, pour lequel il aurait eu le temps de mener l’ensemble des répétitions. Le dernier concert du Festival d’Automne, consacré à la compositrice Clara Iannotta, a réalisé ce souhait pour une soirée très éclectique à l’Auditorium de Radio France.

Markus Poschner dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France avec Truls Mørk © Dimitri Scapolan
Markus Poschner dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France avec Truls Mørk
© Dimitri Scapolan

Habitué des créations, l’orchestre a dû s’amuser des originalités de Strange bird – no longer navigating by a star de la compositrice. Les cornistes tapotent l’embouchure de leur instrument avec la paume, la petite harmonie manie le waldteufel (cylindre en bois lié par une corde à une petite boîte qui tient lieu de caisse de résonance), les contrebassistes sont amenés à jouer sous le chevalet si ce n’est directement sur le cordier tandis que le reste du quatuor révèle des talents insoupçonnés avec des spatules, tubes wah-wah et autres morceaux de polystyrène… Le tout produit une œuvre où se succèdent différentes atmosphères très caractérisées, depuis les bruissements d’une jungle luxuriante jusqu’aux ambiances stellaires des ondes sonores extraterrestres des bols de cristal, avec par moments des martellements étouffés de grosse caisse qui semblent illustrer les battements de cœur de l’individu ainsi baladé aléatoirement entre ces différents mondes. Cette œuvre immersive est assez plaisante, avec de nombreux éléments visuels qui maintiennent l’attention du spectateur.

Quel contraste avec l’austérité du Concerto pour violoncelle n° 2 de Chostakovitch ! L’auditeur se retrouve immergé sans transition dans toute la rudesse de l’URSS, où l’on oscille entre monologues introspectifs plaintifs et résignés et épisodes rythmiques implacables et nerveux. À l’image de son arrivée sur scène sur la pointe des pieds, Truls Mørk incarne cette ambiance oppressante, le regard absent, complètement plongé dans la prise de parole musicale. Sa gestion de l’immense phrase du premier mouvement, quittant rarement une nuance piano presque confidentielle, au vibrato discret, comme s’il n’osait pas se livrer, est poignante, avec un son brut qui ne recherche pas de sophistication élégante déplacée. On ressent toute la lamentation de cette musique jusque dans les pizzicati, exécutés avec une spontanéité presque ingénue de la part du musicien. C’est en entendant le court motif lyrique du troisième mouvement, plus proche du beau son de violoncelle, qu’on comprend tout le travail de texture sonore que le violoncelliste a effectué dans le reste de la partition.

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Truls Mørk dans le Deuxième Concerto de Chostakovitch
© Dimitri Scapolan

L’orchestre accompagne le soliste avec une homogénéité de son très aboutie, tant au sein des groupes d’instruments (les cordes se fondent dans un matériau fantomatique unique lors du premier mouvement, les sonorités des bois se complètent avec précision dans le deuxième) que de manière globale dans les tuttis du troisième mouvement. Les passages rythmiques sont impressionnants de cohésion dynamique, tant dans les archets vifs et précis des cordes que dans les attaques percutantes des instruments à vent. Sans jamais couvrir le soliste, Markus Poschner suggère en arrière-plan le rouleau compresseur implacable de la dictature soviétique. On regrette seulement quelques ajustements dont l’absence efface des particularités d’écriture intéressantes, notamment l’unisson quasi inaudible entre un xylophone très vigoureux et une harpe dépassée par le volume sonore de ce dernier.

Après l’entracte, le Philhar' change encore radicalement de répertoire avec la Symphonie n° 9 de Schubert, dite « La Grande ». Survolté par l’énergie du concert, Markus Poschner évite le piège de l’ennui dans cette longue œuvre aux nombreuses reprises, en en proposant une interprétation foisonnante. Le chef n’est pas avare en contrastes dynamiques et révèle quantités de détails d’orchestration au volant d’un orchestre en disposition viennoise : on entend nettement les jeux d’échos entre les deux pupitres de violons ou même entre les trompettes et les cors. Cette approche exubérante s'avère cependant plus d'une fois déroutante, par ses fluctuations de tempos et par quelques inventions incongrues, comme au cours du troisième mouvement quand Poschner lance les arabesques mêlées des premiers violons et violoncelles à la manière d’effusions schumanniennes.

Si cette interprétation bannit la notion d’ennui, elle pèche donc par son absence de ligne directrice et conduit à un éclatement sonore de l’orchestre. L’oreille sur-stimulée peine à suivre toute cette activité, sans cesse à la recherche d’un pupitre, peu aidée par un son de timbales indistinct qui contraste avec les multiples rebonds qui jaillissent de la scène. C’est presque haletant que l’on quitte la salle, après un concert qui aura toutefois montré toute la plasticité du Philhar'.

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