Chef prometteur et trop rarement invité dans l’Hexagone, Robin Ticciati faisait ses débuts mercredi dernier à l’Orchestre de Paris, à l’occasion d'une série de concerts offrant, en diptyque, deux Cinquième – Concerto pour violon de Mozart tout d'abord, Symphonie de Mahler ensuite.

Dernier né des cinq concertos écrits en quelques mois seulement pour le violon, le KV 219 en la majeur est servi en revanche par une habituée de la Philharmonie : Lisa Batiashvili. Armée de son Guarnerius, la Géorgienne survole le premier mouvement avec une forme de pudeur, certes bienvenue dans les premières mesures solo notées « Adagio », mais un peu à rebours de l’indication « Allegro aperto » qui suggère par la suite une manière plus extravertie. Si le style galant se manifeste pleinement dans sa conduite d’archet parfois précieuse et sa main gauche volontiers ornementale, manque cependant la fragile instabilité nécessaire aux ruptures dont Mozart truffe sa partition.
Les réserves seront toutefois balayées dans les deux mouvements suivants. La soliste propose dans le deuxième mouvement « Adagio » un climat à la sérénité jamais contrariée, jamais heurtée, presque en apesanteur dans le temps immobile et flottant de sa propre poésie. Légèrement acidulé dans ces suspensions ingénues, son instrument se révèle dans le « Rondo » conclusif sous un jour plus rustique, manié en outre avec une tout autre rugosité par une Batiashvili échevelée. Robin Ticciati allie quant à lui raffinement et animation – étonnante combinaison de ses deux mentors, Simon Rattle et Colin Davis – à la tête d’un Orchestre de Paris en formation réduite, mais pèche néanmoins par manque de spontanéité, notamment dans un troisième mouvement aux fulgurances alla turca trop sages et sous contrôle.
C’est avec cette même distance que Robin Ticciati embarque la phalange parisienne après l’entracte, dans la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, première des trois grandes fresques de la période purement instrumentale du compositeur. Approchée de façon plus intellectuelle qu’instinctive, plus objective que passionnée, cette Cinquième se révèle aussi moins exaltante qu’intéressante. Intéressante par la dualité qui structure l’œuvre et que la direction de Ticciati, qui sait admirablement jouer des contrastes et des ruptures, met constamment en lumière : pulsion de mort et pulsion de vie, résignation et révolte se télescopent dans un affrontement perpétuel – pivot autour duquel s’articulent les mouvements.
Savamment organisée par le maestro, la confrontation est servie par une science des alliages rendant saillantes des combinaisons de timbres rarement explorées avec un tel souci du détail, par une opposition des cuivres (véhicules du tragique) et des cordes (plus lyriques), et surtout par une grande plasticité des tempos. Celle-ci est par exemple sensible dans le deuxième mouvement où, après une entrée en matière qui remue tout sur son passage, vient une cantilène très élargie des violoncelles ; ou dans le dernier qui, à la suite d’un fugato extatique, se laisse aller à des plages de cordes aussi rêveuses que dilatées, presque atmosphériques.
Cette plasticité s'épanouit au détriment de l’urgence, hélas ! grande absente de cette Cinquième. Car si l'œuvre est menée avec habileté par Ticciati, l’inconstance des tempos s’accompagne d’une inconsistance du flux, ballotté entre nervosité et placidité, porté par de grands élans d’intensité sitôt interrompus. Ces relâchements avec effets de sourdine – moindre luminosité, moindre détail – rendent les deux premiers mouvements çà et là épisodiques, le dernier un peu fabriqué.
Au sortir du concert, la frustration n’éclipsera toutefois en rien un « Adagietto » idéal de simplicité, frémissant, hésitant, avançant sur la pointe des pieds, qui ne s'est jamais s’abîmé dans le pathos. Ni un « Scherzo » discrètement dansant, qui a écarté toute forme de démonstration ou de cabotinage au profit d’une allure altière et profondément mélancolique – à l’instar de ces pizzicati brumeux brisés par la gouaille sarcastique du basson de Giorgio Mandolesi. Il faut dire que ce troisième volet a pu compter sur le cor de Benoît de Barsony, infaillible dans son redoutable solo, et sur la mise au point exemplaire de Robin Ticciati qui, conjuguant sens de la miniature et de la grande forme, a plongé l’auditeur dans un kaléidoscope grandeur nature.