Peu mise à l’honneur dans nos salles de concert, l’œuvre d’Edward Elgar a, semble-t-il, encore beaucoup à faire découvrir au public hexagonal ; c’est entre autres le cas du Concerto pour violon et orchestre, créé par Fritz Kreisler – rien que ça – en 1910.

Vilde Frang © Marco Borggreve
Vilde Frang
© Marco Borggreve

D’abord par sa longueur de près d’une heure, ensuite par l’omniprésence du violon, enfin par la dimension éminemment organique qui réunit ses trois mouvements, c’est tout un univers que ce concerto ouvre et referme, comme une longue confidence exécutée à merveille par la soliste du soir. Vilde Frang fait chanter son Guarneri del Gesù à la manière des plus grandes divas d’opéra – les caprices en moins – et rend irrésistiblement envoûtantes chacune des notes de sa partition : comme pris dans les sables mouvants, l’auditeur n’a plus d’autre choix que de se laisser aller à la plus grande lascivité. À la fois lyrique et énergique, noble et pathétique, sage et tourmentée, la Norvégienne parvient à sublimer chaque prise de parole pour en délivrer un caractère aussi intime que mystérieux. Porté par un bras droit énergique, la grande vivacité d’archet de la soliste lui permet en outre d’installer une surprise qui contrebalance son emploi un peu excessif de vibrato.

L’Orchestre philharmonique de Radio France est dirigé avec enthousiasme par Fabien Gabel, remplaçant au pied levé Mikko Franck, qui profite des très rares interstices purement orchestraux pour faire entendre tout le relief de sa phalange, à l’instar des premières mesures vives, explosives et enlevées, qui contrastent ainsi le classicisme de cette introduction qui peut vite tourner au pompeux. Portée par des regards complices, l’entente entre le premier violon Nathan Mierdl et Vilde Frang leur permet de coordonner leurs départs pour encore mieux sceller la belle association entre la soliste et l'orchestre. 

Entamée en septembre par Ainsi parlait Zarathoustra, la série que l’Orchestre Philharmonique de Radio France consacre aux pages symphoniques de Richard Strauss prend fin en seconde partie de concert, après sept épisodes, avec l’inoxydable Symphonie alpestre. Tube incontestable du répertoire, tant par son orchestration tonitruante que par son efficacité mélodique, ce poème symphonique qui bouscule à coup sûr son auditoire est l’assurance d’un public conquis d’avance. Pourtant, et peut-être pour cette raison, cette œuvre reste des plus piégeuses pour ses interprètes, qui ne doivent pas se laisser aller à une trop grande facilité ; aussi, la tâche de Fabien Gabel devient d’autant plus ardue que l’acoustique de l’Auditorium de Radio France est vite surchargée avec de pareille masses.

À la faveur d’un rare foisonnement orchestral, la tentation est grande pour le chef de se complaire dans la beauté sonore, de s’enliser dans le kaléidoscope de couleurs, de timbres et d’harmonies, de ralentir le tempo à outrance pour se prélasser Sur les prés fleuris ou Sur le pâturage ; or, ce serait en oublier l’architecture et la dimension narrative de cette randonnée d’une journée qui doit sans cesse avancer. Sachant cela, Fabien Gabel évite l’écueil en irriguant, du prélude au finale, une pulsation soutenue ; aussi, de la Nuit de l’aube à la Nuit du crépuscule, son excursion montagneuse se fait à marche rapide, sans temps morts ni récréations – voire, malheureusement, sans respirations. Car cette battue, qui se fait vite métronomique et radicalement scolastique, donne l’impression de forcer les passages où l’opulence orchestrale nécessiterait justement une légère retenue rythmique, assénant les Lever de soleil, Au sommet et Sur le glacier aussi froidement que des uppercuts.

Etouffé par l’implacable baguette, l’auditeur finit d’être assommé par le manque de nuances dynamiques de l’orchestre. Ce dernier, ne descendant jamais au-dessous d’un vague mezzo forte, tombe ainsi dans des travers habituels pour cette œuvre : sortir les muscles plutôt que de faire entendre toutes la richesse, toutes les strates de la partition.

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