Alexandre Tharaud éclate de rire lorsque je lui demande ce que cela fait d'être une superstar du piano. « J'ai un rapport sain à la célébrité, me dit-il. D'abord parce que la célébrité, quand on est un pianiste classique, ça va, ce n'est pas dramatique. Et puis parce que les dix premières années de ma carrière ne ressemblaient justement pas vraiment à une carrière. » D'un point de vue musical, il décrit une ascension progressive qui lui a donné l'espace nécessaire pour comprendre ce qu'il voulait. « J'ai donné très peu de concerts, j'ai enregistré des albums avec de petites maisons de disques, sans pratiquement recevoir d'écho. »

« J'étais dans un isolement quasi total, en me demandant comment j'allais faire, parce que ce que je voulais vivre, c'était la scène. Je n'accordais pas d'importance au fait d'être sur une grande scène internationale, ce que je voulais c'était être sur scène, même la scène d'un petit cabaret, n'importe quoi ! Et d'ailleurs c'est ce que je faisais, je jouais dans des restaurants, souvent gratuitement. »
Il se montre reconnaissant envers cette période qui lui a permis de prendre du recul par rapport au succès qui a suivi. « Le rythme frénétique des concerts, le rapport au public, la critique, les commentaires incessants... Pour tout cela, si je n'étais pas passé par cette période de doute extrême et d'isolement, de précarité, je ne pourrais pas avoir la vie que j'ai aujourd'hui. » Il ajoute qu'il plaint presque les musiciens dont la carrière démarre sur les chapeaux de roue, qui se retrouvent sous les feux de la rampe à vingt ans à peine, avec un agent, une grande maison de disques, des prix internationaux : « Cela peut être carcéral, cela peut être vraiment très pénible. Dans la vie, quelle qu'elle soit, il faut passer par des zones d'ombre, des tunnels, surtout au début. »
Aujourd'hui, la donne a changé pour Tharaud, et il lui est désormais difficile de trouver du temps en dehors de la scène. « La vie de soliste, c'est une tournée permanente, au cours de laquelle il faut parfois se battre pour garder des espaces de respiration. » Il pèse ses mots. Depuis notre visio dans sa chambre d'hôtel, il m'explique qu'il s'est réservé quatre semaines de temps libre ce printemps et qu'il prévoit de prendre plusieurs mois de congé dans les années à venir. « J'ai pris le taureau par les cornes, pour arriver à vraiment m'arrêter de temps en temps. »
Il est convaincu de l'importance de ces espaces de respiration. « Les jeunes musiciens qui commencent dans la carrière sont grisés par le rythme, mais ils ne se rendent pas compte que s'ils ne se ménagent pas des moments vacances ou simplement de répit, ils le paieront très cher plus tard. C'est valable pour tout le monde, il n'y a pas d'exception. » Entre-temps, un sens aigu de la discipline est nécessaire pour survivre au rythme intense de la route. « La vie en tournée, c'est beaucoup de voyages, des décalages horaires féroces, des horaires qu'il faut dompter. Par exemple, je ne participe généralement pas aux dîners d'après-concert, je rentre à mon hôtel. »
Alexandre Tharaud n'a jamais eu peur de bouleverser les choses, de changer les règles du jeu, en se demandant pourquoi, par exemple, le récital de piano n'est pas devenu quelque chose de différent aujourd'hui. Il décrit son métier comme étant « englué dans des principes extrêmement rigides qui sont nés maintenant il y a deux siècles. » Tout comme notre rapport au son, à la performance et à la scène a évolué, il pense que le rituel du récital devrait pouvoir évoluer. « Qu'est-ce que cela veut dire, faire bouger les règles ? En ce qui me concerne, cela s'est traduit par exemple à un moment donné de prendre la partition sur scène. Je n'étais pas le premier, mais cela a tout de même été remarqué, et cela m'a valu beaucoup de sarcasmes, par exemple. »
Néanmoins, de nombreux pianistes lui ont emboîté le pas et l'ont remercié pour la franchise de son geste. « Cela leur a donné le courage de le faire, parce qu'ils m'ont vu le faire. » De façon attachante, il se lance dans l'énumération de ses points faibles : « C'est aussi une façon de dire, voilà, je n'ai pas tout ce qu'il faut pour être pianiste, je n'ai pas la mémoire, je n'ai pas le corps – mes bras sont trop longs, trop minces –, je suis insomniaque... Je veux dire que je suis la preuve vivante qu'on peut arriver à faire ce qu'on veut faire comme métier sans avoir tout ce qu'il faut pour. »
Qu'est-ce que cela a donné pour Tharaud ? Une carrière de concertiste qu'on ne présente plus et qui l'a rapidement rendu célèbre. Deux livres publiés. Un petit rôle dans un film de Haneke. Et deux douzaines d'albums en solo, dont les premiers, à partir de 1992, célèbrent des compositeurs français tels que Milhaud, Poulenc et Reynaldo Hahn. « Je suis né dans la musique française : ma mère était chorégraphe, mon père metteur en scène. »
À Lugano en avril, Tharaud jouera sa propre transcription de L'Apprenti sorcier de Paul Dukas, qu'il a imaginée alors qu'il n'avait que 23 ans et qu'il a revisitée l'année dernière, décrivant la pièce comme « une sorte de feu d'artifice ». « J'aime les récitals, explique-t-il, qui commencent piano, piano, dans le recueillement avec Bach et qui terminent dans tout autre chose. » Outre Dukas, Tharaud interprète des pièces rarement jouées de Bach et de Rameau, ainsi que des extraits de la suite pour piano Miroirs de Ravel.
Mais les premiers compositeurs français que Tharaud a rencontrés, me dit-il, n'étaient pas Ravel, Debussy ou Dukas... mais Robert Planquette, un compositeur d'opérettes et de chansons du début du siècle. « Cela me taraude que la musique française ne soit pas beaucoup programmée dans les salles, dans les séries de concerts, dans les récitals. Debussy est moins souvent joué qu'il y a 20 ou 30 ans en récital. » Il est fier de son rôle de conservateur et de défenseur, qui a mis en avant Rameau et Couperin à une époque où ils étaient rarement inclus dans le répertoire pianistique moderne. Emmanuel Chabrier qui, selon Tharaud, a posé les jalons de toute la musique française pour piano du XXe siècle (il a enregistré l'intégrale de son œuvre pour piano). Massenet, Bizet, Saint-Saëns, Poulenc. Mais cette approche ne va pas sans frustrations. « J'ai parfois l'impression que quelque chose est bloqué. Même Satie est encore très rarement joué en concert. »
Il parle brièvement de son amour pour le travail du groupe des Six et de son amitié avec la veuve de Darius Milhaud, Madeleine. « On se voyait tout le temps et elle me disait : “Tu sais, la roue tourne”. » À ce souvenir, il esquisse un sourire en coin. « Elle n'était pas inquiète de la postérité de l'œuvre de son mari, parce qu'elle avait conscience de cela. »
« Il y a des compositeurs classiques qui sont joués aujourd'hui et qu'on ne jouait pas il y a vingt ans, poursuit Tharaud. Et c'est assez incroyable. Chostakovitch, par exemple, quand j'étais adolescent, il était plus ou moins proscrit de toutes les salles de concert. Dans les années 1920, les deux compositeurs qu'on ne jouait surtout pas en France, parce que personne ne serait venu, c'était Mozart et Bach. Et c'était 1920, cela ne fait pas si longtemps. Donc je ne suis pas inquiet, la roue tourne. »
L'essentiel, pour Tharaud, est de faire en sorte que les œuvres des compositeurs soient enregistrées au moins une fois, qu'elles soient rendues accessibles et facilement disponibles sous forme de partitions. « En ce moment, je me bats beaucoup pour Jean Wiéner, dont l'œuvre pour piano est absolument magnifique : quatre sonates, beaucoup de pièces courtes et deux concertos pour piano. C'est cela aussi notre rôle. Un interprète, c'est quelqu'un qui dit : attention. Nous sommes des personnes qui devons veiller sans cesse ». Il poursuit : « Il faut être là. Il faut être vigilant, téléphoner, écrire. “N'oubliez pas tel ou tel compositeur”. Écrire à un éditeur, écrire à une maison de disques. Dans un programme où vous jouez Chopin et Beethoven, au milieu, jouer une pièce d'un compositeur un peu moins connu ».
Mais il ne se considère pas pour autant comme un archiviste ou un érudit, comme le gardien d'un musée d'œuvres poussiéreuses derrière une vitre. « Je n'aime pas les musées. Je m'y ennuie très vite. J'aime que les œuvres soient vivantes. Nous ne sommes pas des gardiens, mais plutôt des ressusciteurs. La musique est le seul art qui doit être réinventé chaque jour, réinterprété à l'aune de ce que l'on voit, de ce que l'on entend, parce qu'on change tout le temps. »
Pour lui, cet engagement vivant avec la musique du passé passe par une approche pratique. Tharaud est convaincu que tous les pianistes, qu'ils soient compositeurs ou non, devraient écrire leurs propres transcriptions, comme il l'a fait pour un certain nombre de suites de Bach (pour flûte, luth et hautbois), ainsi que pour des arias et des chœurs de la Passion selon saint Jean. « Personne d'autre ne peut faire sonner vos mains au mieux. » C'est aussi une merveilleuse façon d'élargir le répertoire. Dès son plus jeune âge, il a été émerveillé par la variété de sons et de couleurs que le piano pouvait offrir en tant qu'instrument. « Lors de mon passage au conservatoire, j'ai découvert que le piano était un imitateur qui pouvait aller vers les couleurs des orgues, des luths, des harpes, des cordes, des bois, des bassons, des percussions, des clavecins... »
La variété, donc, comme fil conducteur. En avril, il sortira un nouvel enregistrement de trois concertos contemporains écrits pour lui par les compositeurs Thierry Pécou, Ramon Lazkano et Alex Nante. L'année dernière, c'était Nico Muhly. Ces projets se mettent en place facilement, autour d'un verre de vin, ou sur les réseaux sociaux, par l'intermédiaire d'amis d'amis, mais leur impact est une source de fierté pour Alexandre Tharaud. Il parle franchement de ce qu'il peut faire grâce à sa situation privilégiée : amener des noms moins connus sur un grand label, et donc à un public plus large. « On revient à ce que j'aime faire : tirer les ficelles, dire “attention”, repérer, veiller. Parler aux auditeurs, servir à quelque chose. C'est aussi notre rôle, faire bouger les lignes, remuer un peu les choses. » La roue tourne toujours.
Alexandre Tharaud jouera au LAC le 2 avril.
Cet article a été sponsorisé par la Fondazione LuganoMusica et traduit de l'anglais par Tristan Labouret.