Alors que les catastrophes naturelles de ce mois de janvier rappellent la réalité du dérèglement climatique, l’Orchestre Philharmonique de Radio France en visite à la Philharmonie de Paris propose judicieusement un programme sur le thème... du printemps : à la Symphonie n° 6 « Pastorale » de Beethoven, qui dépeint une nature harmonieuse et accueillante, répondent les heurts du Sacre du printemps de Stravinsky.

À la tête de l’orchestre, Myung-whun Chung ouvre la symphonie d’un tempo très allant, comme si le printemps était pressé de revenir. Ce dynamisme est propice à un mouvement foisonnant où les motifs circulent entre les différents pupitres : on a bien l’impression d’être au milieu des champs, un matin où la nature s’éveille et s’active. Une belle énergie émane de l’ensemble, on entend presque par anticipation les rondes paysannes des troisième et cinquième mouvements dans la rugosité travaillée des contrebasses. Le chef ménage un long crescendo durant cet « Allegro » dont la plénitude sonore est délectable. Dans le même esprit, on apprécie un troisième mouvement jovial, au cours duquel la ritournelle du hautbois reprise par la clarinette puis le cor se répète avec une éloquence sans cesse renouvelée.
Au regard de l’interprétation de l’ensemble de la symphonie, il semble que cette narration soit davantage le fait des musiciens que du chef. En témoigne un deuxième mouvement qui, même s’il est indiscutablement abouti en termes d’hédonisme sonore, s’enferme dans un statisme où l’ennui n’est jamais loin. Après un orage peu explosif en forme de giboulée dans le quatrième mouvement, l’« Allegretto » conclusif poursuit cette veine interprétative, comme si Chung ne cherchait pas à insuffler de récit mais était presque exclusivement concentré sur la beauté plastique de l'ouvrage.
Au retour de l’entracte, la scène est inondée de musiciens. L’effectif du Sacre est déjà pléthorique en soit, ajoutez-y les académiciens du Philhar’ et vous obtenez une marée d’instruments impressionnante ! L'œuvre fait partie de celles dont on sait que l'interprétation est ratée si celle-ci ne nous fait (re)découvrir aucun élément à son écoute. Ce soir, c'est réussi : on se surprend à avoir oublié la prégnance de la partie de flûte en sol et on est comme souvent saisi par la brutalité qui se dégage des tuttis, où la synchronicité des attaques et des tenues est irrésistible.
Comme en première partie de concert, Chung dirige l’œuvre par cœur. La polyrythmie complexe l’oblige à changer de battue : habitué à d’amples gestes évocateurs, le voilà qui doit donner de nombreux départs et maintenir un cadre formel stable… On l’a rarement vu autant diriger un orchestre, au sens premier du terme ! Sa gestique, qui parfois se mue en chorégraphie asymétrique où les arts martiaux ne sont pas loin, la jambe gauche ancrée dans le podium, reste très expressive et inspirante y compris pour le spectateur. En se concentrant sur le chef et à l’écoute de la musique, on comprend qu’il connait à la perfection tous les méandres de la partition.
La sonorité boisée sans concession du début de l’œuvre, les nuances piano des violons – plus prégnantes que celles de la Pastorale malgré le doublement d’effectif –, le mystère des trompettes en sourdine au début du second tableau, les trémolos incisifs des altos à la pointe de l’archet presque sur la touche : malgré toutes ces réussites sonores, on regrette à nouveau un manque de narration sur l’ensemble du ballet. Si les nuances sont là, exploitant tout le potentiel de la Philharmonie, et si la mise en place rythmique est incontestable, la mise en valeur explicite de motifs distincts ou de pupitres aurait apporté un relief encore plus tranchant, maintenant en haleine l’auditeur jusqu’à la suffocation. En définitive, il s’agit d’une interprétation assez sage du Sacre, sans authentique surprise.
La surprise vient du bis improvisé par le chef, attaquant à un tempo d’enfer la « Danse de la Terre » qui clôt le premier tableau. Ce rouleau compresseur prend presque une signification politique, semblant rappeler que sans véritable action d’envergure, la mécanique implacable du changement climatique nous écrasera.