On peut reprocher bien des choses à Valentin Schwarz, metteur en scène d'un Ring bien inégal au Festival de Bayreuth ; mais il faut lui reconnaître, aux moments-clés de la Tétralogie, un sens de l'imagerie scénique. Les interludes « muets », où seul l'orchestre s'exprime, sont souvent très beaux à regarder. Ainsi cette Trauermarsch où petit à petit, Hagen et le fils de Siegfried recouvrent le visage du héros d'un blouson faisant lieu de linceul.

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Le Crépuscule des dieux au Festival de Bayreuth
© Enrico Nawrath

Car oui, dans cette version du Ring, Siegfried et Brünnhilde sont parents, et il faut avouer que cette interprétation très libre du livret de Wagner, bien qu'ouvrant la porte aux incohérences, permet une abondance de bonnes idées efficacement exploitées. Ainsi ces Nornes, ici comme les émanations des cauchemars de l'enfant, encagoulées et pailletées. Ou la première scène entre les deux parents, visiblement éreintés par une vie plan-plan, ce qui pousse Siegfried à claquer la porte.

Il ne serait pas bien malin, selon nous, d'essayer de suivre cette histoire à la manière d'un feuilleton où l'on chercherait une logique sans failles. Il faut plutôt envisager ce Ring comme une accumulation de symboles, soudés entre eux par quelques métaphores filées, à l'image du livret de Wagner lui-même. Récapitulons-en les principaux éléments : le « cube de pouvoir », déjà présent dans L'Or du Rhin (dans les mains de Wotan) puis dans La Walkyrie (Siegmund en tire Notung) est de retour, véritable MacGuffin de cette Tétralogie. Ce soir dans le Crépuscule des dieux, il s'enflamme lors de la scène de l'Immolation, suggérant l'embrasement du monde. La force brute a été symbolisée par divers objets plus ou moins phalliques (en plus de la traditionnelle épée, citons la canne de Fafner ou ici une canne à pêche). Les dessins que griffonnaient le jeune Hagen (car c'était bel et bien lui) dans L'Or du Rhin, qu'on a vu traîner dans La Walkyrie et dont Mime se servait pour jouer dans Siegfried sont dans cet ultime épisode les véritables masques du chœur, à mi-chemin entre le bal masqué glauque et la réunion de secte.

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Le Crépuscule des dieux au Festival de Bayreuth
© Enrico Nawrath

Les musiciens, eux, résistent tant bien que mal à cette épreuve du feu vocale. Klaus Florian Vogt (Siegfried) montre, dans le dernier acte, des signes de fatigue. Le ténor aura néanmoins réussi à s'imposer dans un rôle de Heldentenor qu'il a su accorder à la douceur et à la finesse naturelles de son timbre. Le vibrato extrêmement large de Catherine Foster (Brünnhilde), à la Petra Lang, est de ceux dont il faut prendre l'habitude. En confiance ce soir, elle parvient à trouver les nuances qui lui manquaient dans Siegfried, notamment dans la scène de la découverte du corps du héros. On ne dira jamais assez de bien de Christa Mayer, de retour en Waltraute, ni de son aisance dramatique.

La part du lion revient toutefois à Mika Kares (Hagen), débarqué semble-t-il seulement pour la générale et les représentations, qui par son timbre surnaturellement rauque rend saisissante la folle insanité du personnage. Dans la fosse, l'Orchestre du Festival est si solide que les moments d'hésitation ne s'entendent guère. Les rares soucis de balance présents au premier acte disparaissent au deuxième. Simone Young a gagné son pari, s'attirant l'engagement d'un orchestre superlatif et sachant en révéler, au fil des soirées, les multiples émotions.

Le <i>Crépuscule des dieux</i> au Festival de Bayreuth &copy; Enrico Nawrath
Le Crépuscule des dieux au Festival de Bayreuth
© Enrico Nawrath

Scéniquement, que retiendra-t-on du travail de Valentin Schwarz ? Peut-être d'abord celui de ses collaborateurs, et en premier lieu Andrea Cozzi, dont les décors nous ont soufflé un peu plus à chaque spectacle. La salle de boxe dans laquelle Hagen s'exerce, agrémentée d'un simple punching-ball et baignée d'une lumière blanche glaciale (fruit du travail de Reinhard Traub et Nicol Hungsberg), est magnifique. Le choix le plus saillant du metteur en scène se tient sans doute dans les derniers instants de l'opéra : la vidéo y est de retour, et nous montre deux fœtus, miroirs du prélude de L'Or du Rhin, en paix et dans les bras l'un de l'autre. Une sorte de happy end inattendu, là où beaucoup voient dans la fin du Ring un éternel recommencement, et qui est une façon de rendre justice au leitmotiv final de la rédemption par l'amour... Certains trouveront certainement cette fin « a little bit cheesy », mais pouvait-il en être autrement pour une production qui a tant convoqué l'imaginaire des grandes productions cinématographiques américaines ?

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