Huit ans directeur musical de l’Orchestre National de France, Daniele Gatti est de retour à la tête de l’ensemble pour un programme donné deux fois cette semaine à Radio France, avec pour thème la ville de Rome : le résultat est saisissant, révélateur du fait qu’on peut proposer un concert sans soliste, au point qu'on conseille vivement aux mélomanes absents jeudi soir de prendre leur billet pour samedi.

Le chef italien dirige par cœur tout le concert, dans un calme et une maîtrise absolue des partitions. Cela lui permet d’indiquer par des gestes millimétrés quantité de détails, ajustant en permanence les équilibres, sans perdre l’auditeur dans une succession d’épiphénomènes mais bien en le guidant sur un chemin parfaitement entretenu dont il révèle la subtilité du traçage : l’art de la structure rehaussé par ses péripéties, l’un des plus hauts sommets de la direction.
Ainsi on admire pour commencer le dosage des pizzicati des cordes dans l'ouverture du Carnaval romain de Berlioz, ainsi que leurs jeux de canons et de questions/réponses entre les pupitres. Le thème du cor anglais est une ligne élégante et pudique, qui se transmet fluidement aux autres pupitres qui conservent ce parti pris avec bonheur, en particulier les altos. Le saltarello qui conclut l’œuvre impressionne par sa clarté polyphonique et sa mise en place, bien que l’absence d’un grain de folie donne presque l’impression de tourner en rond dans les dernières mesures.
Cette relative absence d’élan caractérise également le premier mouvement de la Symphonie n° 4 « Italienne » de Mendelssohn. Le chef fait tout pour entretenir un « Allegro » peu « vivace », rattrapant les esquisses de décalages lorsque certains musiciens sont emportés par la fougue de la partition. Gatti impose une conception terrienne, à l’image de certains gestes qui ancrent solidement dans le sol les fondations de l’édifice. Ce tempo modéré est idéal pour ciseler les ornements des violons qui cousent de la dentelle, puis pour prendre le temps de déployer les phrases de l’« Andante con moto » de manière captivante.
Le finale adopte enfin un tempo plus allant, véritablement « Presto », avec quelques fluctuations parfaitement limpides. Il est à l’image de la conclusion du Carnaval précédent : admirable de mise en place, de virtuosité et de clarté, mais toujours très maitrisé. Cette interprétation davantage axée sur la structure que sur l’émotion, presque étouffante de maîtrise de la part du chef, aura eu le mérite de proposer un éclairage nouveau – perturbant certes mais intéressant – d’une œuvre très souvent donnée.
Qu’il a fallu du temps pour que le public bavard finisse par remarquer que Gatti attendait avec une irritation de plus en plus manifeste et légitime le silence nécessaire au premier tableau des Fontaines de Rome ! Cependant, l’attente valait la peine car le National entre dans la « Fontaine de Valle Giulia » avec une nuance piano presque surnaturelle.
Après une première partie de concert en forme d’épure, Gatti colore l’orchestre d’une multitude de textures, transformant le cycle de Respighi en variations sur le scintillement. Les quatre mouvements auront bien pour dénominateur commun l’eau et ses reflets, d’abord filet discret et tranquille chez les seconds violons rehaussés par les tintements du triangle, puis plus active avec les gerbes du célesta et du piano, puis torrentielle avec les harpes, avant de s’endormir au son des cloches. Gatti sait manifestement exploiter les qualités d’un orchestre qui baigne dans La Mer de Debussy depuis toujours. Cet élément liquide unifiant est pourtant relégué au second plan par le chef qui s’attache à caractériser l’atmosphère de chaque numéro, sans pour autant faire disparaître l’onde qui reste insensiblement présente : cette science des plans sonores confine au génie.
Après les variations sur le scintillement, Les Pins de Rome sont une étude des ombres, tout autant réussie. À l’insolente énergie solaire de la Villa Borghese, dynamisée avec subtilité par un tambour de basque au dosage idéal (à l’image d’un pupitre de percussion exemplaire ce soir), répondent les nuages lourds des catacombes, volontiers dramatiques. La nuit sur le Janicule est un délice de suavité des cordes, où l’on entend enfin les textures qui manquaient dans Ravel le mois dernier, et aboutit à un nouveau piano stratosphérique pour ouvrir la Via Appia. Le chef en gère le crescendo et les éclats avec une science de la progression achevée, en contenant ses troupes pendant de longues minutes avant d’en libérer la puissance. Espérons que l’absence des Fêtes romaines, dernier opus de la trilogie de Respighi, signifie en creux la promesse d’un retour du chef à Paris.

