Après avoir exhumé la Symphonie n° 2 d’Elsa Barraine en ouverture de sa saison 2024/25 à Radio France, l’Orchestre National de France et son directeur musical Cristian Măcelaru s’en font les hérauts modernes en donnant cette partition à nouveau, cette fois-ci à la Philharmonie ! L’œuvre est encadrée par deux tubes du répertoire : le Concerto pour violon de Tchaïkovski et la deuxième suite de Daphnis et Chloé de Ravel. Dommage de n’avoir pas profité de la situation pour explorer davantage la production de cette compositrice méconnue du XXe siècle, dont la biographie laisse supposer une évolution stylistique.

Cristian Măcelaru © Christophe Abramowitz / Radio France
Cristian Măcelaru
© Christophe Abramowitz / Radio France

Toujours est-il que nous la retrouvons à nouveau au cœur de son engagement communiste dans cette symphonie sous-titrée « Voïna » (« La Guerre » en russe). Alors que la première écoute de l'œuvre, la saison passée, nous avait laissé « à l’arrière » (l’esthétique de la symphonie n’étant pas révolutionnaire, par rapport notamment aux symphonies de Prokofiev dont on retrouve certains timbres et harmonies, mais en plus sages), cette nouvelle interprétation, plus captivante, nous amène sur le front.

La précision de l’orchestre y est pour quelque chose : ainsi dans le premier mouvement on profite pleinement d’un départ staccato des altos ou d’une caisse claire discrète, parfaitement dosée. Réputé pour sa transparence, le National donne à entendre chaque partie distinctement, avec une facilité peut-être due à des années de travail dans l’acoustique exigeante de Radio France. La profusion des timbres de l'orchestre est parfois à la limite de fissurer l’homogénéité du son de l'ensemble, mais les dynamiques de chaque mouvement donnent une inertie confortable, qu’elle soit rythmique dans l’« Allegro » et le « Finale » ou plus statique au cours de la « Marche funèbre ».

Măcelaru ne réitérera malheureusement pas la performance dans Daphnis. Cette fois-ci, la profusion des timbres vire à l’explosion. Le « Lever du jour », miné par des interventions solistes souvent trop nettement en dehors du flux, perd toute dimension organique tandis que la transparence de l’orchestre se mue en abstraction aride. Pas de réchauffement des premiers rayons du soleil, pas d’élan enivrant qui vous donne l’impression d’être immergé dans un paysage antique en lisière de forêt.

Introduit par des glissandi de violon peu élégants, le solo de flûte de la « Pantomime » amène enfin un aspect charnel et un peu de respiration. Ce moment de répit est de courte durée avant une « Danse générale » peu mémorable. Elle partait pourtant bien, avec les batteries précises des cors et le phrasé des pizzicati des contrebasses… Mais que la battue du chef est molle ! Măcelaru veille avant tout à indiquer la mesure pour s’assurer que les musiciens jouent ensemble, sans proposer – ou rarement – de véritable direction artistique. Il ne transmet pas à l’orchestre cette pulsation irrésistible qui donnerait une perspective à la bacchanale, et se contente de quelques effets faciles dans les éclats fortissimo de la fin de la partition.

Cette interprétation fait écho au concerto de Tchaïkovski donné en première partie. Alors que l’introduction orchestrale, presque joviale, est bien menée, l’entrée du soliste voit Măcelaru plonger dans sa partition et se focaliser uniquement sur l’accompagnement rythmique du soliste. Randall Goosby, qui faisait ses débuts en France, se tourne régulièrement vers le chef pour appuyer d’autant plus cette volonté.

Est-ce cela qui semble parfois le contraindre musicalement ? Le violoniste étatsunien, dont le registre grave de l’instrument est particulièrement agréable, fait preuve de qualités intéressantes, se montrant capable de conduire de longues phrases au cours du deuxième mouvement comme d’habiter ses cadences en y variant le vibrato. Sans excès de sentimentalisme ni maniérisme, Goosby n’insuffle toutefois que peu d’élan à l’œuvre. Très appliquée, attentive à chaque note de sa partie, son interprétation très sage arrondit à peine les fins de phrases au cours de l’« Allegro », respire trop peu dans la « Canzonetta », avant de manquer de décoller dans le finale par excès de méticulosité.

En bis, le violoniste apporte avec Louisiana Blues Strut de Perkinson les harmonies de son pays natal. Si les doubles cordes y sont exigeantes, l’exercice finit par tourner en rond, alors qu’on cherche un éventuel lien avec le reste du programme. Même questionnement en fin de concert, lorsque l’orchestre proposera avec Hora Mărțișorului de Dinicu une danse roumaine entrainante malgré ses décalages.

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