Choc des sirènes, impact des percussions, exaltation du rythme, richesse des timbres, plénitude sonore : voilà ce qui a résonné dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris ce mardi sous la direction de Pierre Bleuse. L’Ensemble intercontemporain et les étudiants du CNSMDP se sont rencontrés pour porter le « Grand soir Edgard Varèse », un concert monographique en deux parties aussi bien construit qu’interprété.

Pierre Bleuse dirige le grand soir Edgard Varèse à la Philharmonie © Quentin Chevrier
Pierre Bleuse dirige le grand soir Edgard Varèse à la Philharmonie
© Quentin Chevrier

Le programme révèle habilement les relations de motifs musicaux qui traversent les œuvres de Varèse comme une constellation de son catalogue entre 1921 et 1936. Avant la magie d’Arcana et la déflagration d’Amériques, Ionisation nous plonge dans l’univers percussif du compositeur. De la stabilité métronomique, Pierre Bleuse tire un groove irrésistible qui crée immédiatement une attention d’écoute particulière. L’une des grandes qualités de la soirée s’impose d’emblée : l’équilibre des voix et l’attention portée aux timbres donne lisibilité et clarté à une interprétation toujours narrative.

Après un texte poétique de Varèse déclamé par le chef dans la résonance de Ionisation, la flûtiste Sophie Cherrier donne, dans une version anthologique, Densité 21.5. La pièce se déroule dans un souffle qui suspend le temps. La conduite mélodique se mêle à un vibrato régulier, le son rond sait se faire perçant quand il le faut. L’osmose de toutes ces qualités crée une interprétation organique qui introduit Octandre. Entre douceur et stridence, cette pièce pour instruments à vent trouve sa cohérence dans la vitalité rythmique qu’impulse Bleuse. Sa direction quelque peu théâtralisée s’estompera petit à petit avec l’augmentation de l’effectif des œuvres qui suivent. Suite logique d’Octandre, Intégrales fut composée un an plus tard avec pour objectif d’offrir, selon les mots de Varèse, un « voyage dans l’espace ». Les attaques percutantes et la précision rythmique créent cette géométrie musicale rigoureuse que l’EIC et les étudiants du CNSMDP rendent avec beaucoup de naturel.

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Pierre Bleuse dirige le grand soir Edgard Varèse à la Philharmonie
© Quentin Chevrier

Si l’organicité de la partition avec ses musiciens était jusque-là le maître-mot de la soirée, la voix de Sarah Aristidou, souvent couverte par l'orchestre, ne s’intègre pas aussi bien dans Offrandes. Malgré un manque de projection et des graves trop courts, l'engagement interprétatif de la soprano et sa diction rencontrent toute la poésie portée par l’orchestre. D’intrigants événements sonores aux timbres changeants, presque humoristiques parsèment le premier mouvement (« Chanson de là-haut »). Une réminiscence de Stravinsky (Sacre du printemps) se glisse discrètement dans l’œuvre, une donnée commune à Arcana (L’Oiseau de feu) que ce concert monographique aura contribué à mettre en valeur.

Dans les monumentales Arcana et Amériques, les étudiants du CNSMDP sont en majorité et leur investissement sans faille – qu’ils soient chefs de pupitre ou dans les rangs – donne une seconde partie jubilatoire. Jamais caricaturées, les puissantes nuances sonnent naturellement avec l’effectif pléthorique qui réunit plus de cent musiciens sur scène. Les contrastes sont saisissants. Dans Arcana, les familles instrumentales jouent toujours en bloc et balayent tous les registres. Pierre Bleuse, très à l’aise devant les effectifs imposants, galvanise les musiciens grâce à une direction claire qui souligne à chaque instant la tension orchestrale. Cette lecture permet de retenir tous les détails de l’orchestration : les wood-blocks qui lancent des dialogues avec les bois, les commentaires narquois des piccolos et les masses cuivrées qui n’ont pas manqué d’inspirer John Williams. Une énergie plus brute se dégage d’Amériques. Pierre Bleuse joue avec intensité de ce tellurisme qui rencontre souvent le bruit et soudain des atmosphères nocturnes.

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Pierre Bleuse dirige le grand soir Edgard Varèse à la Philharmonie
© Quentin Chevrier

De toutes les pièces du concert, Amériques est la plus ancienne (bien que révisée par deux fois). Elle semble constituer la matrice compositionnelle de toutes celles qui suivront. Les sirènes, le solo incantatoire initial de la flûte, la variété des percussions, le remplissage sonore parachèvent la boucle temporelle initiée par ce programme.

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