Benjamin Grosvenor prend la parole dans la Halle aux grains dès la première minute du Deuxième Concerto de Franz Liszt et il ne la lâchera plus. Son autorité est telle qu’il forme un bloc avec le piano, tout simplement. Aux premières mesures, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse chante sur les arpèges du pianiste dans un tempo serein qui cache bien son jeu ; quand l’énergie est nécessaire, elle explose dans une marche en avant irréfragable.

Sur le podium, Robert Treviño est aux petits soins, il chouchoute Grosvenor, il plie l’orchestre aux traits, aux silences, au rythme du pianiste qui fait ce qu’il veut de ses doigts. Dans un respect absolu de l’architecture générale de l'œuvre, le soliste varie les climats à l’envi. Le fameux duo avec le violoncelle de Pierre Gil est un bonheur à voir comme à entendre : les deux artistes respirent la musique. Ce « concerto de chambre pour tout le monde », ainsi qu'a pu le qualifier Jean-Yves Thibaudet, suppose une vraie intimité entre tous les musiciens, loin du Liszt pianiste démiurge : on y est.
Cette interprétation inoubliable était hélas bien mal encadrée par deux interprétations qui ont laissé à désirer. La soirée avait débuté par la Musique pour cordes, percussions et célesta de Béla Bartók. L'Andante tranquillo débute sur un pianissimo bien contrôlé tout au long des entrées successives du thème : dense, mystérieux, détimbré. On retrouve cette qualité à la toute fin du mouvement. Entre les deux, on ressent une forme de réserve, comme si Treviño n’allait pas au bout de son geste.
Le deuxième mouvement est une terre de contrastes, d’accents, d’instabilité qui démarre bien. Il ne faut pas trop des deux mains du chef pour conserver une ligne dans les changements de mesure incessants. Mais l’orchestre ne tient pas la distance ; à partir des pizzicati, puis dans le passage en fugato qui suit, on ressent un gênant manque de mise en place. L’unité des cordes reste fragile dans l’Adagio, le piano joue trop fort, alors que les timbales de Jean-Sébastien Borsarello explorent à la perfection les limites de la partition de Bartók. Enfin, le folklore inventif de l’Allegro molto final dégage une belle dose d’énergie, mais sans sourires, ni dans le son ni sur la scène. Quelle frustration…
La Cinquième Symphonie de Beethoven referme le concert, en débutant par ces deux fameux points d’orgue, expédiés par le chef. Suit une alternance de musique aimable peu à propos et de tempos très vifs. Les appels des cors sont très en-dehors, déconnectés du reste du discours. On est finalement pris dans l’élan, mais à la fin du mouvement, après une reprise sans changement et sans relief, aucune image ne s’est imprimée. L’Andante con moto met en valeur les solistes, parmi lesquels la merveilleuse clarinette d'Antonio Lopes que l’on avait déjà remarquée en ouverture du concerto de Liszt. Treviño parvient ici à donner une forme d’unité dans les variations, avec de belles nuances et un éventail dynamique important.
Mais dans le Scherzo hypnotique, le chef pose presque sa baguette et la tension s'affaisse. Dans la transition vers le finale où l'on attend une atmosphère étrange, suspendue, les pizzicati sont égrenés de manière machinale. L’orchestre prend finalement le mors au dents dans l’Allegro conclusif où la musique s’impose de manière intrinsèque, sans dissiper toutefois un sentiment d'inachevé.