Quand Klaus Mäkelä entre sur la scène de la Philharmonie, on n’en croit pas ses yeux : au lieu de son habituel costume sobre et élégant, le voilà engoncé dans un frac ! Serait-ce le chic protocolaire du Concertgebouw, dont il prendra les rênes en 2027, qui étend progressivement son emprise sur le jeune chef ? Toujours est-il que ce changement de costume s’accompagne d’un changement de style de direction. Certes la pluie de micros qui tombe du plafond ennuagé de la salle trahit un enregistrement, mais est-ce la peine de surcharger d’intention le moindre geste, transformant en théâtralité stéréotypique l’art subtil de la direction d’orchestre, comme si le concert était filmé pour un blockbuster porté sur l’effet plutôt que sur l’authenticité ?

Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris © Mathias Benguigui
Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui

Tout cela fait regretter l’époque des chaussettes rouge vif et de l’élégance discrète, quand l’Orchestre de Paris jouait déjà le Tombeau de Couperin sous la direction de son futur directeur musical, lors du concert de réouverture post-Covid de la Philharmonie, en 2020. Mäkelä avait alors impressionné par le minimalisme approprié de sa direction, laissant volontiers jouer un orchestre familier de l’œuvre, le recadrant juste ce qu’il faut aux moments adéquats. Le voilà cinq ans plus tard qui se démène de manière presque artificielle, mimant les différentes danses du recueil, à tel point qu’on se demande si certains gestes parasites ne sont pas là pour meubler.

Les musiciens ne semblent pas dérangés outre mesure par cette présence envahissante et proposent une interprétation convaincante malgré quelques alourdissements du tempo dans la « Forlane ». Sébastien Giot a le bon goût de ne jamais transformer l’œuvre en concerto pour hautbois et assure une continuité au cours de la suite avec un phrasé discret toujours au service des alliages de timbres. La complicité avec la clarinette de Philippe Berrod donne d’intéressants passages piano, dont la trompette gracieuse de Pierre Désolé se fait l’écho. Les cordes participent pleinement aux atmosphères du recueil, tissant les tapisseries pastorales ravéliennes où pépient leurs collègues instrumentistes à vent : le passage central du « Rigaudon » est à ce titre une belle réussite.

Ces mêmes cordes se montreront capable d’un lyrisme capiteux dans le « Poco adagio » de la Symphonie n° 3 de Saint-Saëns, toujours dans les nuances basses, leurs sonorités se mêlant jusqu’à donner l’impression d’entendre un orgue. Cela tombe à pic : l’œuvre intègre justement un orgue dans son effectif. Aux claviers, Lucile Dollat affirme sa présence dès sa première intervention avec un son très présent pour la nuance pianissimo demandée. Pourquoi pas : l’orgue dispose d'une partie qui ne se réduit pas à un simple accompagnement. On est tout de même un peu gêné par le bourdonnement étouffant de l’instrument lors de certaines tenues dans le registre grave. Dans la même veine interprétative, l’accord forte qui ouvre le finale est ici fortissississimo, clouant le spectateur sur son siège.

Le choix interroge ici davantage, mais est cohérent avec la direction de Mäkelä. Cette volonté de tout tourner vers le spectaculaire est fort dommageable, anéantissant l’idée d’une construction d’ensemble ainsi que le déploiement d’une certaine spiritualité, deux composantes pourtant consubstantielles à cette symphonie-cathédrale. Le chef dirige les mouvements vifs comme du Stravinsky, marquant le moindre accent par un geste fouetté grandiloquent. Les chorals de cuivres évoluent du recueillement au clinquant au lieu de la plénitude tandis qu’une débauche percussive achève de transformer ce chemin mystique en démonstration sensationnaliste.

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Yunchan Lim, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui

Entre Ravel et Saint-Saëns, Yunchan Lim avait rejoint l’orchestre pour le Concerto pour piano n° 4 de Rachmaninov. Le jeune pianiste coréen fait preuve de beaucoup plus de retenue que Mäkelä et incarne le texte sans affèterie. Si son entrée a semé le doute, avec des attaques à faire craindre une interprétation en dureté, c’était compter sans son incroyable talent de coloriste. Yunchan Lim rend parfaitement la dimension rhapsodique du concerto, se fondant parfois dans un orchestre rutilant pour mettre en valeur les combinaisons de timbres, au point qu’on ne sait plus si le piano enrichit l’orchestre ou l’inverse.

Le pianiste donne parfois l’impression d’improviser dans l’instant, recréant l’œuvre en absorbant l’auditeur dans un son de piano sans cesse changeant mais toujours irrésistible. En bis, il nous propose l’aria puis la première variation des Variations Goldberg qu’il avait données quelques semaines auparavant… Un choix dont l'absence de cohérence artistique achève de donner une dimension étonnante à cette soirée.

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