« Les femmes de Liszt » ? Tout un programme dont les Lisztomanias de Châteauroux se sont emparées pour leur vingt-deuxième édition, avec une série de concerts et récitals qui mettaient exclusivement à l'honneur des artistes femmes.
Le samedi soir venu à la Scène nationale Équinoxe, voilà une jeune artiste qui cherche les beautés parfois enfouies dans des œuvres dont on peut être fatigué de les avoir trop entendues. Le piano de Mariam Batsashvilli est d'une élégance princière. Ses petites fautes n'écornent en rien la trajectoire d'un jeu à la sonorité ailée qui épate dans La Fantaisie sur Le Mariage de Figaro et Don Giovanni de Liszt dont la pianiste efface avec un sens parfait du récit épique les longueurs pas toutes divines sous d'autres doigts. Si Batsashvilli a manqué d'abattage dans la Paraphrase sur une Valse du Faust de Gounod, sa vision des enfers de Dante comme sa Vallée d'Obermann avaient la tension et les couleurs requises et la Rhapsodie hongroise n° 14 sonnait avec la grandeur chevaleresque que la partition réclame.
Un concert fleuve pour le dimanche après-midi dans le même lieu, avec des lettres charmantes, drôles et émouvantes de Clara et Robert Schumann, de Marie d'Agoult, lues par Julie Depardieu avec une simplicité mutine qui fait mouche, comme la mezzo-soprano Delphine Haidan trouvera ses marques dans l'acoustique très mate de la salle dans des groupes de lieder de Liszt, Clara Schumann et Pauline Viardot. Elle est accompagnée par Caroline Sageman qui restera devant son clavier pour le Trio pour violon, violoncelle et piano de Clara Schumann dont l'inspiration pâlit quelque peu à côté du Quintette op. 44 de son mari.
Sageman est rejointe par le Quatuor Akilone qui se livre à l'exercice avec plus de conviction et de passion que de perfection instrumentale. Mais ces quatre jeunes femmes savent écouter le piano qui le leur rend bien, subtil, expressif, mais sans s'affirmer de façon péremptoire. Les cinq filles rendent ainsi justice au plus beau quintette du XIXe siècle et peut-être même de tout le répertoire. Et puis quel programme de concert : on en redemande partout en France...
Et vint Saskia Giorgini le lendemain dans l'intégrale des Harmonies poétiques et religieuses dont l'heure et demie de musique jouée en continu exige du pianiste et du public une concentration que cette jeune femme obtient par des moyens purement musicaux : elle est dans le son et dans la forme, dans l'expression et dans l'abstraction, dans la couleur et dans le dessin, dans l'instant et dans l'infini. Tout est net et tout vibre au-dessus du piano-vecteur des grandes interrogations mystiques et cosmiques de Liszt après une lecture « du » Lamartine. Saskia Giorgini chante, rêve et abolit le temps. Ce qui n'est pas un mince mérite dans un cycle aussi exigeant qui de Bénédiction de Dieu dans la solitude à Funérailles, en passant par l'Invocation ou le Pater Noster ne donne guère la possibilité au musicien de charmer ou d'éblouir. Tentation dont de toute façon Giorgini se tient loin : grande accompagnatrice de lieder, elle sait être présente dans l'effacement de soi.
Mais les Lisztomanias, ce sont aussi des conférences et des cours publics d'interprétation et d'improvisation. C'est dans un café que le week-end castelroussin avait commencé, avec un public chaleureux, informel et attentif, pour écouter la jeune Alexandra Stychkina sur laquelle veille Bruno Rigutto qui délivre chaque matin ses conseils avisés à des jeunes, dans le cadre de l'Académie d'interprétation, sise dans une ancienne chapelle magnifiquement reconvertie en salle de concerts. Dans Liszt comme dans Haydn, cette jeune pianiste fera parler d'elle, se dit-on dès qu'on l'entend prendre possession du clavier. Elle a le son, la patte et cette autorité naturelle qui vous accrochent l'oreille...
Parmi les femmes de Liszt, il y a eu Clara Schumann dont Brigitte François-Sappey a entretenu le public du lundi après-midi en disant son admiration pour celle qui s'imposera dès l'enfance dans un siècle misogyne comme la première pianiste de son temps et compositrice d'une musique marquée par l'oeuvre de Robert. Public conquis là encore !
Enfin, il ne fallait surtout pas rater le cours donné par Jean-Baptiste Doulcet et Karol Beffa sur l'improvisation au cinéma. Si Beffa est bien connu comme compositeur, improvisateur, écrivain, son cadet Doulcet devrait l'être de plus en plus : c'est un magnifique pianiste, il est lui aussi compositeur et il est un remarquable critique de cinéma qui pour l'instant réserve ses écrits à ceux qui le suivent sur Facebook. Le jeune Brecht Valckenaers était leur jeune padawan. Nos deux jedis des salles obscures joignant le geste à la parole : ils nous ont tous trois gratifiés de beaux exemples sur l'adaptation des Deux orphelines d'Adolphe Ennery et Eugène Cormon par D.W. Griffith (1921), projetée dans l'Auditorium Franz Liszt.
Le séjour d'Alain a été pris en charge par les Lisztomanias.