Retour à Châteauroux pour la vingt-quatrième édition des Lisztomanias, aussi proliférantes et généreuses que la musique du Hongrois, avec ses cinq manifestations par jour. Il faut donc se lever tôt et se coucher tard si l'on veut suivre cette édition placée sous le signe de la modernité de Liszt. La dernière journée prenait pourtant fin à midi, après un récital donné par quatre jeunes pianistes qui ont suivi les cours de l'Académie d'interprétation que dirige de sa bienveillante sévérité Bruno Rigutto. Nous voici donc à 9h30, dans la Chapelle des Rédemptoristes, pas pour un cours de maître comme la veille, mais pour un récital de deux heures et demie sans entracte donné devant un public d'environ 150 mélomanes. Les jours précédents, ces pianistes ont déjà joué dans les deux cafés, devant des publics captivés après avoir joué pour les cours de maître.

Lucas Bischoff, Moe Hosakawa, William Winterstin et Sophie Boucheau sont quatre musiciens attachants qui ne sont cependant pas au même niveau de perfectionnement individuel. On louera la musicalité de Hosakawa, son sérieux et sa façon d'aller au bout de l'expression musicale dans la Ballade n° 2 de Liszt et la Sonate n° 5 de Scriabine, le caractère intrépide et le naturel de Boucheau qui relève le défi de rendre hommage à Liszt le jour de l'anniversaire de sa naissance en osant sa Sonate en si mineur. Elle la jouera mieux quand elle l'aura visitée plus souvent, mais elle la fait déjà tenir debout en respectant sa dualité imploration/démoniaque.

On fêtera William Winterstin qui joue la Sonate en la mineur D784 de Schubert, les Danses de Marosszék de Kodály, la Rhapsodie hongroise n° 5 de Liszt et une sonate de Scarlatti avec une présence poétique, une recherche du sentiment juste en chaque moment qui forcent l'admiration, d'autant qu'il a une sonorité ô combien chantante. Ce jeune musicien cherche et il trouvera, d'autant qu'il n'est pas auto-indulgent. Quant à Lucas Bischoff, il joue déjà comme un jeune maître, tirant du piano une sonorité somptueuse – même dans un café sur un piano quart de queue d'une marque qui n'est pas des meilleures – dont l'équilibre a la puissance et la profondeur d'un orchestre comme la respiration d'une voix humaine. Son premier mouvement de la Sonate n° 2 de Rachmaninov, comme ses sonates de Scarlatti et son improvisation dans le style du compositeur russe – entendue trois fois en deux jours et trois fois différente – sont une révélation. Après avoir travaillé à Rouen avec l'excellent Frédéric Aguessy, premier prix du Concours Long de la grande époque, puis à Paris notamment chez Jonas Vitaud, Bischoff continue ses études en Suède.

Vahan Mardirossian, Vardan Mamikonian et l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie © Yvan Bernaer
Vahan Mardirossian, Vardan Mamikonian et l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie
© Yvan Bernaer

La veille au soir, sur la grande scène d'Equinoxe, l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie et son chef Vahan Mardirossian accompagnaient Vardan Mamikonian dans la rarissime Malédiction de Liszt et l'Andante spianato et Grande Polonaise brillante de Chopin. Deux œuvres de jeunesse. Celle du Hongrois, ouverte sur la musique à venir, commence comme du Stravinsky et finit comme du Wagner, après avoir salué Berlioz... Celle du Polonais tout frais installé à Paris est mondaine et bavarde après une introduction dont on n'imagine pas qu'elle puisse finir en roucoulades. Mamikonian a le son de Gilels, l'élégance de Freire... Et l'on enrage ne pas le voir inscrit dans les séries de concerts et récitals à Paris et en province : tous ses confères savent qui il est.

Quant à l'orchestre à cordes de Mons, il a la perfection d'un quatuor à cordes élargi à une contrebasse, quatre violoncelles, quatre altos, six premiers violons et cinq seconds, dans une interprétation idéale du Quatuor de Ravel que les musiciens et leur chef ont arrangé. Un tel art de la nuance, de l'articulation, du phrasé long et galbé vous décroche la mâchoire. C'est d'une beauté raffinée qui fait des bijoux de Lullaby de Gershwin et de Musica Celestis d'Aaron Jay Kernis.

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Tanguy de Williencourt aux Lisztomanias
© Yvan Bernaer

Comment oublier l'après-midi même, le récital de Tanguy de Williencourt qui associe Liszt et la France dans un programme où se répondent Les Cloches de Genève et celles des Miroirs de Ravel et où vibre l'Espagne imaginaire de Debussy ? Concentré, attentif aux équilibres et au tragique qui se cache derrière les masques ravéliens, ce pianiste dirige la musique là où elle doit aller sans jamais ne serait-ce que frôler le pittoresque ou le prosaïsme. On peut toujours aimer « Alborada » plus claudicante et tragique, « Oiseaux tristes » plus irréels et glaçants, mais le Bechstein qu'il a sous les doigts manque de sfumato et sa franchise un peu directe, son clavier un peu lourd ne le rendent pas facile dans ce répertoire.


Le séjour d'Alain a été pris en charge par les Lisztomanias.

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