Après un été de jachère musicale dans la capitale, il est temps pour l’Orchestre de Paris de rappeler Porte de Pantin ses fidèles mélomanes, venus nombreux assister au lancement de sa nouvelle saison symphonique. Et si, pour son second concert d’ouverture en tant que directeur musical, Klaus Mäkelä peut sembler moins audacieux que l’année passée, Les Cloches – qui n’ont fait leur apparition qu’une seule et unique fois, en 2018, au répertoire de l’orchestre – viendront tout de même relever la prise de risque en sonnant les mâtines de cette saison 2023-24.

Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris lors du concert d'ouverture de saison © Sophie Le Roux
Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris lors du concert d'ouverture de saison
© Sophie Le Roux

Initialement programmé avec la projection vidéo de Bertrand Mandico dont le public d’Aix-en-Provence a pu admirer les poncifs et la naïveté cet été, le Petrouchka de ce soir apparaît finalement sans cet habit superflu. Superflu, car si la partition de ces scènes burlesques en quatre tableaux ne manque déjà pas de saveur, Klaus Mäkelä profite de chaque occasion pour créer un imaginaire sonore haut en couleur qui préfère à l’envoûtement féérique du ballet son penchant plus tourmenté – particulièrement dans les deux occurrences de la Fête populaire de la Semaine grasse. Malgré une certaine monotonie dans l’emploi que fait l’orchestre des tons crus et acides, chaque saynète parvient à adopter un caractère propre et une autonomie permettant à ce diaporama d’éviter l’écueil d’une uniformité trop rébarbative.

Les musiciens développent une pâte sonore généreuse, emphatique et creusée, la direction de Mäkelä agissant comme un exhausteur de goût, avec toutefois une inclination à prendre la pose et à se complaire dans ce monde en technicolor. Cet univers, plus sonore que narratif, révèle alors une tendance au tape-à-l’œil qui nuit autant au huis-clos des deux tableaux centraux (la Valse de la ballerine et du Maure, trop extravertie pour être réellement intimiste) qu’à la simplicité de certaines danses du dernier tableau, qui oscillent parfois entre l’effet et l’anecdote. La Danse des nourrices aura ainsi paru alourdie par la surexposition des contrechants.

Dissimulés – mais bien audibles – au milieu des cordes dans Stravinsky, Bertrand Chamayou et son Steinway reviennent ensuite sur le devant de la scène pour conclure la première partie de concert. Œuvre de jeunesse certes, mais qui contient en germe tous les éléments d’un langage qui ne fera que s’affirmer, le Premier Concerto pour piano de Prokofiev fait la part belle au soliste qui n’a, pour ainsi dire, qu’à briller ; c’est ce que fera Bertrand Chamayou de la première à la dernière note. Aussi bien dans le registre percussif, flamboyant et énergique du premier mouvement que dans la dextérité plus dansante du troisième, le pianiste fait parler toute sa technique, mais aussi son art de la fine nuance qui, sans nuire à sa dimension mécanique, accentue le lyrisme de l’œuvre. Le second mouvement est quant à lui magnifié par cette science du ritardando – commune au pianiste et au chef – qui plonge dans un jeu d’ombre et de lumière l’intimité de cet Andante assai.

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Klaus Mäkelä dirige Les Cloches lors du concert d'ouverture de saison
© Sophie Le Roux

Le poème symphonique de Rachmaninov devait représenter le défi de ce concert d’ouverture. Il aura finalement été son chemin de croix, tant ces Cloches auront sonné creux. Dès le premier mouvement, le public assiste à l’inondation du pauvre Pavel Petrov : déjà en grande difficulté quant à la faiblesse de son émission, le ténor se fait submerger d’un côté par l’orchestre chauffé à blanc, de l’autre par le Chœur de l’Orchestre de Paris – agrémenté de chanteurs du Musiikkitalon Kuoro – qui se plaît à durcir démesurément chacune de ses attaques.

Systématiquement dans la démonstration orchestrale, dans le surlignage des dynamiques et dans les effets de manche, Klaus Mäkelä délivre ensuite une interprétation décousue, passant à côté de l’incarnation véritable de cette œuvre métaphysique, charnelle et contemplative, censée symboliser les quatre âges de la vie ; de ces quatre âges, on ne saurait dire exactement lequel nous a offert les musiciens, mais probablement le plus ingrat. Heureusement, la soprano Olga Peretyatko et le baryton Alexey Markov – chantant respectivement les cloches d’or du mariage dans le deuxième mouvement et le glas funèbre du Lento final – auront apporté un peu plus de réussite à cette seconde partie de concert, plombée par les maniérismes et les excès.

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