La foule qui s'agglutine à l'entrée de la Philharmonie, dont des chefs d'orchestre parmi quelques têtes connues, signale la soirée immanquable. L’affiche est prometteuse : la Messe en si de Bach dirigée par Klaus Mäkelä, qui nous a certes accoutumés à une audace programmatique, dans le grand répertoire symphonique et choral mais dont les incursions dans le baroque étaient restées confidentielles. Pourquoi ce choix d’un monument de la musique sacrée ? La question restera sans réponse convaincante au terme des près de deux heures de ce concert.

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Klaus Mäkelä dirige la Messe en si à la Philharmonie
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

Lorsque les musiciens de l'Orchestre de Paris s'installent sur le plateau de la grande salle Pierre Boulez, on remarque aussitôt un choix étrange dans la disposition de l’orchestre : violoncelle et contrebasse solos sont situés au milieu du plateau, à égale distance des chanteurs d’une part, du clavecin et de l’orgue positif d’autre part. Pourquoi cette dissociation du continuo qui se révélera problématique à chaque intervention soliste, instrumentale et/ou vocale ? Il faut bien sûr préciser qu'en-dehors peut-être des timbales, tout l'orchestre joue sur instruments « modernes ».

Derrière les musiciens, ce sont les choristes du Concert d'Astrée qui prennent place, ils sont au maximum une quarantaine. Alors que Klaus Mäkelä avait eu recours à un chœur XXL dans le Requiem de Fauré, voilà qu’il se contente d'une phalange certes valeureuse mais souvent en panne de puissance dans les moments de jubilation. Les membres de l'Académie du Chœur de l'Orchestre de Paris viendront apporter leur renfort avant le « Sanctus », doublant l’effectif déjà présent ; quel dommage de s’être privé d’eux auparavant !

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Klaus Mäkelä dirige la Messe en si à la Philharmonie
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

D’autres questions vont se poser tout au long de l'œuvre. La première qui surgit dès l'entame du « Kyrie » concerne le texte chanté, son articulation, l'intention que veut porter le chef. La gestique en dit déjà long : élégante comme toujours, elle se révèle vite contre-intuitive, comme extérieure au contenu même de l'œuvre. Autant l'on admire Mäkelä lorsque, dans Berlioz, Stravinsky ou Beethoven, il s'immerge dans la complexité des partitions, fait corps avec ses musiciens, autant ici il semble étrangement non concerné, surtout vis-à-vis du chœur. On aura jusqu'à la fin l'impression d'un enchaînement de séquences sans lien entre elles.

Dans ce « Kyrie », il en résulte une alternance de legato karajanesque et de quasi staccato dans un orchestre qu'on sent mal à l'aise et pour le chœur un récit émollient qui oscille entre mezzo piano et mezzo forte. Le « Christe eleison » confié au duo de solistes féminin ne nous donne pas plus d'indications sur le parti (ou l'absence de parti) pris par le chef. Le « Gloria » est lancé à vive allure, mettant plus d'une fois en danger un chœur pourtant aguerri à ce répertoire, un chœur qu'on aimerait mieux entendre exprimer la ferveur, la joie de ce passage essentiel de la liturgie. Les mêmes décalages se produiront plus tard dans l'exaltation de l'« Osanna ». C'est toujours une affaire d'articulation, d'éloquence, tout simplement de sens de ce qui est chanté.

Klaus Mäkelä dirige la <i>Messe en si</i> à la Philharmonie &copy; Mathias Benguigui / Pasco and Co
Klaus Mäkelä dirige la Messe en si à la Philharmonie
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

Dans le « Laudamus te », c'est un dialogue crispé entre la soprano et le violon solo Sarah Nemtanu, qui pour la circonstance a délaissé son port d'attache, l'Orchestre National de France. Le « Domine Deus » qui suivra entre soprano et ténor sera mieux venu, même si on souffre un peu de la part de Nicholas Scott d'un défaut commun à beaucoup de chanteurs anglais : l'ouverture, excessive au point d’en être ridicule, des voyelles (« qui vêênit, bênêdictus »), bien peu accordée à la rigueur toute germanique de la prononciation de sa partenaire.

Malgré le beau soutien du cor de Benoit de Barsony, Milan Siljanov n'est pas la basse vibrante et profonde qu'on attend dans le « Quoniam ». Enfin dans le célèbre « Agnus Dei » qui précède le chœur final, on espérait plus de chair, plus de corps, plus de graves aussi dans la voix de Wiebke Lehmkuhl. Le « Dona nobis pacem » conclusif réconcilie tout le monde – ou presque. Certains spectateurs ressentiront le besoin d'applaudir sans même attendre la fin de l'accord final, achevant de transformer cette Messe en si en expérience déconcertante.

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